LE COUPLE RIGUEUR-SOUPLESSE, SUPPORT DE LA « RUPTURE SYSTÉMIQUE »
« Il
n’y a pas pire criminel qu’un fonctionnaire obtus. »
Khalifa Touré,
Les archives de la
vie : un regard critique sur le monde, L’Harmattan-Sénégal, 2021, p. 43.
Le
nouveau Président de la République du Sénégal, dans son discours d’investiture,
a affiché sa volonté de procéder à une « rupture systémique », dans
le sens de la transformation économique et sociale du Sénégal. Il s’agit plus exactement d’imposer un type de
management et de leadership qui soit en rupture avec la gestion gabégique des
affaires publiques, d’instaurer une justice équitable devant laquelle tous les
citoyens sont égaux, et de permettre l’accès de tous les Sénégalais aux
services et avantages qu’offre l’État du Sénégal à tous ses enfants. La volonté
des nouvelles autorités, c’est de matérialiser le PROJET pour un Sénégal
souverain, juste et prospère dans une Afrique souveraine ; bref elles
s’engagent à créer un environnement d’épanouissement socio-économique et
culturel des Sénégalaises et des Sénégalais où qu’ils se trouvent.
C’est
la raison pour laquelle, le nouveau régime a fait de la rigueur et de la
transparence, les piliers de fonctionnement de la gestion de l’administration centrale
et des services déconcentrés de l’État. Et pour cela, l’idée du pointage et de
la présence physique dans les lieux de travail aux heures de travail est agitée
depuis l’accession de son Excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye à la
magistrature suprême du Sénégal. Mais cette idée mérite réflexion, car son
application a des avantages comme elle a des inconvénients. L’administration a
autant besoin de rigueur que de souplesse pour avoir des résultats probants. En
plus de cela, ce sont des hommes et des femmes, trempés dans leurs réalités
socio-culturelles, qui font l’administration et pas le contraire.
Dans
cette perspective, il ne faut pas surtout commettre l’erreur de mettre la
charrue avant les bœufs. Le système de
pointage dans l’administration doit être précédé d’un système de transport
fluide, qui épargne les usagers des monstrueux embouteillages de la capitale
sénégalaise. Par exemple, beaucoup de fonctionnaires et agents de l’État ont
été parachutés aux sphères ministérielles de Diamniadio sans au préalable avoir
tout l’accompagnement qu’il fallait. À l’époque, pas de restaurants, pas de moyens
de transport si ce n’est les véhicules particuliers et les quelques bus de la
société « Dakar Dem Dikk » qui n’arrivaient même pas à desservir
convenablement les Sphères ministérielles. Connaissant la mentalité de certains
chefs de service qui ne comprennent pas forcément que les véhicules de service,
c’est pour le service et par conséquent pour tous les agents du service, vous
pouvez facilement vous faire une idée de la misère qu’ont vécu ceux qui ont
inauguré ces infrastructures publiques en Mai-Juin 2019. Aujourd’hui, les
conditions se sont beaucoup améliorées pour les travailleurs, même si l’État
peut toujours mieux faire pour permettre à ses agents d’être plus performants.
La
modernisation de l’administration aussi, c’est la digitalisation de celle-ci
pour faciliter davantage les procédures et réduire le temps mis par les usagers
pour bénéficier du service public. Il n’est pas alors toujours nécessaire
d’être présent physiquement au service pour pouvoir offrir un service à un
Sénégalais lambda qui en formule la demande. Le télétravail, avec l’expérience
de la COVID-19, a démontré qu’on peut rester chez soi, travailler et obtenir
des résultats satisfaisants. D’ailleurs, la problématique du pointage dans
l’administration pose celle de la méthode de travail des agents de l’État. On
ne peut pas obliger un agent qui a passé toute la nuit à travailler sur les
dossiers de son service d’être présent le lendemain à 8h si ce n’est pour un
besoin urgent de présenter les résultats de son travail par exemple.
Par
ailleurs, la routine et la monotonie font partie des grands et réels problèmes
de l’administration sénégalaise. La créativité, l’esprit d’initiative et
d’innovation n’y sont pas toujours les bienvenus. Pour les personnalités de
type artiste, travailler dans cette administration n’est pas toujours signe de
bonheur et d’épanouissement mais plutôt de peine et de souffrance. La plupart
du temps, les chefs de service et autres agents de l’État préfèrent rester dans
leurs zones de confort, préservant tranquillement leurs avantages, que de
prendre le risque de rénover et de moderniser les pratiques professionnelles en
cours. Naturellement l’homme a peur du changement et les grandes périodes de
bouleversement sont toujours douloureuses.
Humaniser
l’administration, la décoloniser ou du moins la « sénégaliser », ce
n’est pas y laisser régner la pagaille et l’absentéisme. Mais c’est juste
l’adapter aux réalités sénégalaises, au mode de fonctionnement de celle-ci avec
ses multiples fêtes et cérémonies familiales : Tabaski, Korité, Tamkharit,
Magal, Gamou, Fêtes Noël et Pâques, baptêmes, mariages et funérailles, etc.
Cela ne veut pas dire que les structures étatiques ne vont pas fonctionner en
ces moments, mais un système de permanence utile doit y être initié pour
assurer la continuité du service public et répondre favorablement aux urgences
des usagers
La
souplesse dans l’administration aussi, c’est faire de telle sorte que les chefs
de service puissent incarner un leadership transformationnel et diriger avec un
type de management qui permet de libérer les énergies créatrices des différents
agents. Malheureusement, beaucoup de chefs de services et de directeurs nationaux
constituent le blocage même de leurs propres institutions. Ces dernières
fonctionnent parfois selon les humeurs matinales du « chef ». Le plus
souvent, ce sont des personnes qui sont nommées par affinité, pour leur
ancienneté ou pour des raisons purement politiciennes, et non parce qu’elles
sont les plus compétentes et les plus ouvertes d’esprit. Souvent, elles cachent
leur incompétence par leur refus d’accepter et d’intégrer le point de vue de
l’autre, leur orgueil mal placé et/ou l’organisation clanique du service avec,
d’une part, des agents soumis à leur volonté et bénéficiant de leurs largesses ;
et d’autre part, les contestataires et libres d’esprit très souvent écartés,
marginalisés et parfois même « mis au frigo ».
La
rigueur doit concerner l’application à bien faire ce que l’on a à faire et dans
les délais impartis. Cela renvoie au contrat de performance qui a pour dessein
l’obligation de résultats entre le Président de la République et son Premier
ministre, le Premier ministre et ses ministres, les ministres et leurs
directeurs, ainsi de suite jusqu’au bas de l’échelle de l’opérationnalisation
des politiques publiques. Maintenant, le « comment atteindre les résultats ? »
doit être défini, sous l’impulsion du supérieur hiérarchique, par les agents de
chaque Ministère, de chaque Direction, de chaque Division et de chaque Bureau
selon l’architecture administrative.
La
rigueur dans l’administration doit être surtout orientée dans la gestion
transparente des ressources allouées pour le fonctionnement de celle-ci. Les
principes de « Jub Jubal Jubanti » à l’application desquels
nous invitent les nouvelles autorités du pays, c’est la reddition des comptes
pour que l’argent du contribuable sénégalais ne soit plus géré de manière
nébuleuse au profit de quelques dirigeants seulement et pour bouter,
définitivement, hors de nos pratiques, la mauvaise mentalité envers la chose
publique. Ces ressources financières sont destinées à la prise en charge
optimale des besoins des populations et non pour enrichir, à coût de millions
ou de milliards, des fonctionnaires privilégiés par leur simple positionnement
ou posture dans l’administration centrale comme dans celle déconcentrée et/ou
décentralisée.
L’autre
élément pour une performance de l’administration, du moins en ce qui concerne
les sphères ministérielles de Diamniadio, c’est de revoir l’environnement
physique de travail des agents de l’État qui sont installés dans des espaces
« open space ». Connaissant bien la culture sénégalaise des « Salamalek »
à n’en plus finir, du palabre à longueur de journée, on imagine facilement
l’ambiance qui règne dans certains services ; une telle ambiance n’est pas
toujours favorable à un travail de qualité et par conséquent au respect des
délais fixés. En réalité, l’effet recherché produit souvent son contraire,
surtout quand il s’agit d’agents de conception qui ont besoin d’un minimum de
calme, de solitude et de concentration pour réfléchir, créer et innover.
Le
Président de la République et son Premier ministre, en tant qu’anciens hauts
cadres de l’administration, détenant aujourd’hui le pouvoir d’impulsion de la
politique gouvernementale, connaissent bien le mode sous lequel doit
fonctionner celle-ci. De ce fait, ils ne doivent pas se laisser duper par ceux
qui appellent à une certaine forme de « rigueur aveugle » dans la
gestion de cette administration (avec forcément un système de pointage pour le
respect des horaires de travail), socle de l’opérationnalisation de la
« rupture systémique ».
La
vérité, c’est qu’on peut être parfois beaucoup plus productif et performant en
restant chez soi qu’en étant au bureau. En plus, la motivation au travail
vaut mieux que le présentéisme inefficace au bureau. C’est pourquoi, même
si le système de pointage est une bonne chose, il ne doit pas être appliqué à
la lettre dans toute l’administration. Il suffit juste de spécifier les
services où la présence physique est une obligation pour ne pas handicaper leur
fonctionnement au regard de l’affluence des usagers à y satisfaire tel ou tel
besoin : les hôpitaux, les tribunaux, les commissariats de police et brigades
de gendarmerie, les mairies, les banques, les bureaux courriers et autres lieux
de paiement de factures, de dépôt de demandes et de sollicitation de documents
administratifs précieux.
Pour
finir, il faut retenir que le fonctionnement et les performances des services
administratifs dépendent souvent du type de leadership des chefs de service et
de leur management des ressources humaines ainsi que leur gestion des
ressources financières, c’est-à-dire de leurs rapports au travail, à leurs
agents, mais surtout à la dignité et à l’intégrité. Ces deux dernières valeurs
sont liées intrinsèquement à notre éducation de base et à notre environnement
familial, social, culturel et religieux. Étant donné que l’administration
sollicite non seulement nos compétences mais aussi nos valeurs, tâchons d’y
cultiver les valeurs de rigueur, de souplesse, de respect,
de loyauté, de liberté mais surtout de dignité et d’intégrité !
Ngor DIENG
Psychologue conseiller
ngordieng@gmail.com
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