LE SÉNEGAL, PAYS DES NOUVEAUX HÉROS CIRCONSTANCIELS

Nous sommes à l’ère de la libéralisation de la parole. Tout le monde parle et personne n’écoute personne. Mais quand tout le monde parle, il est plus judicieux, pour les sages, de se taire. Car la foule ne réfléchit pas. Et le brouhaha ne mène pas à la vérité. Le temps de la parole, c’est aussi le temps du silence pour saisir la quintessence de ce qui est dit. Mais malheureusement, tel n’est pas le sort de notre monde.

Aujourd’hui, avec l’avènement des médias sociaux, tout le monde parle pour exister. Pour paraphraser Descartes, on peut même dire : « Je parle, donc je suis ». Certains même parlent, pas parce qu’ils ont quelque chose à dire, mais pour qu’on ne leur reproche pas leur silence. Or la chose qui mérite le plus notre attention, notre rigueur et notre dextérité dans sa manipulation, c’est la parole. Parler n’est pas ordinaire mais c’est un pouvoir créatif sacré. Dieu lui-même crée par le verbe : sois et la chose fut.

Dans les sociétés traditionnelles, les sociétés organisées et mêmes les sociétés secrètes, tout le monde n’est pas habilité à prendre la parole. Parler n’est pas seulement un art oratoire, mais une science du langage, un support et un prolongement de la pensée. Si le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, il n’est pas tout de même donné à tout le monde de pouvoir en faire un bon usage. « Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien » nous dit encore Descartes.

Parler est dangereux parce que la parole révèle véritablement qui nous sommes, ce que nous cachons au plus profond de notre être. Parler peut révéler nos désirs refoulés pour faire référence à la psychanalyse de Freud. La parole fait partie aussi bien du pouvoir de la conscience que des manifestations de l’Inconscient à travers la sublimation. Les chanteurs et autres artistes-comédiens ne me démentiront pas. Pourquoi voulons-nous banaliser la parole ? Pourquoi voulons-nous la désacraliser par des « conférences de paresse » et des débats monotones et stériles sur les plateaux de télé et dans les studios de radio qui ne font que tympaniser les oreilles des sachants, des renseignés et pas des informés, étant entendu que l’information peut être fausse mais le renseignement est toujours juste.

En réalité, le problème, ce n’est pas la parole mais « avoir quelque chose à dire ». Dans le domaine de l’écriture, on dit que le style c’est avoir quelque chose à dire. Si on n’a rien à dire, le silence devient la parole la plus adaptée. Si la parole est thérapeutique, le silence est cathartique, surtout dans un pays pas de monologue ou de dialogue mais de brouhaha…

Le mot « patriote » est tellement galvaudé au Sénégal que le Patriotisme lui-même en est étonné. Le terme « républicain » est tellement usité et banalisé dans notre pays que la République elle-même en rit. Le Sénégal est véritablement le pays des nouveaux héros n’ayant posé aucun acte héroïque mais plutôt faisant dans le populisme, l'activisme et l’hérésie. Il est maintenant très facile d’être un héros par la parole à travers des « live » et autres conférences de presse et sorties médiatiques qui peuvent même nous mener en prison.

La parole est véritablement un couteau à double tranchant. C’est une arme sensible que tout le monde ne peut pas manipuler. Il faut de l’intelligence, de la hauteur et du discernement pour en faire un bon usage. Je comprends mieux ceux qui se sont nichés dans le silence ou tout simplement qui sont en retrait de la chose politique et publique dans notre Sénégal. Ils ont en partie raison. La vérité dort dans la chambre du silence de la maison de la sérénité. Elle ne se dévoile pas dans le tohu-bohu de nos débats politiques à longueur de journée mais dans le silence et la lucidité de nos discussions posées, savantes et civilisées.

Il est difficile aujourd’hui de trouver dans notre espace public un débatteur lucide, objectif, élégant, pondéré et équidistant. Il faut forcément être d’un camp ou de l’autre. Il faut forcément être du pouvoir ou de l’opposition. Il faut impérativement choisir son camp. Depuis quand tout le monde est sonné d’entrer dans la mare à crocodiles politique et faire dans l'insolence, la brutalité, la démagogie et le mensonge pour montrer qu'il est téméraire en débat. Ce sont les humains qui créent à la vérité (l’Absolu) un camp mais celle-ci n’a pas de camp. Elle est au-dessus de nos querelles de mortels. La vérité de chacun est une facette de la vérité et pas la Vérité. Ô qu’il est maintenant facile d’être héros en République du Sénégal ! C’est un peuple qui a laissé se produire et se développer en son sein des énergumènes comme Adamo, Pawlish, Mame Ndiaye Savon…Que Dieu me pardonne le fait de les avoir cités ! Qu’ils me pardonnent eux-mêmes parce qu’ils ne sont en rien fautifs de ce qu’ils nous servent. C’est la société sénégalaise qui est elle-même responsable de la production de ses produits de consommation médiatiques.

La parole a perdu de sa saveur dans ce pays. Tout a déjà été dit par nos illustres prédécesseurs et avec sincérité. On ne peut plus dire plus que ce que Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh, Sérigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, Sérigne Saam Mbaye, El Hadji Ibou Sakho, Cheikh Mouhidine Samba Diallo et Seyda Zeinab Fall ont déjà dit et bien dit.

Il y a eu trop de manipulations de part et d’autre dans ce pays, du pouvoir comme de l’opposition. Le premier n’est pas exempt de reproches mais le second n’est pas digne de confiance. Tous les deux sont responsables de la situation dans laquelle le Sénégal et le peuple sénégalais baignent actuellement. Et ils se retournent pour nous donner des leçons d’engagement politique et d’amour de la Patrie comme si le Sénégal a commencé à exister avec eux.  

On aspire toutes et tous au changement alors que personne d’entre nous, en réalité, ne veut commencer par changer lui-même. Chaque peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite et les dirigeants sont toujours à l’image du peuple. Alors si nous voulons que les choses changent, commençons nous-mêmes par changer ! 

Les générations se succèderont les unes aux autres et le Sénégal restera une terre de PAIX et de TERANGA ! Je l’espère plus que je le souhaite ! 

 

 

Ngor DIENG

Psychologue conseiller

ngordieng@gmail.com


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