HOMMAGE A MON MAÎTRE AMINATA DIAW CISSE !
Sénèque
Oui cher Sénèque, vous avez raison. Mais ma douleur ne saura se
taire pour longtemps. Elle ne peut pas se taire pour longtemps. Les mots
peuvent me manquer pour exprimer ma grande peine. Ils peuvent même ne pas
exister pour exprimer ce que j’ai ressenti, et que je ressens encore, quand
j’ai décroché mon téléphone alors que je me préparais à une belle journée de
vendredi comme j’en ai l’habitude. Mais il me faut utiliser les mots, aussi
conventionnels soient-ils pour rendre hommage à mon maître. C’est par devoir et
par fidélité que je le fais. Car on reconnait l’arbre par ses fruits.
Il est malheureux de noter qu’aujourd’hui, on oublie vite les morts, nos morts. Il est aussi regrettable de constater que de nos jours, les vivants parlent plus de la vie que de la mort, même dans les cimetières… à l’enterrement.
Il est malheureux de noter qu’aujourd’hui, on oublie vite les morts, nos morts. Il est aussi regrettable de constater que de nos jours, les vivants parlent plus de la vie que de la mort, même dans les cimetières… à l’enterrement.
Les vivants sont tellement attachés à la vie qu’ils ne veulent
pas entendre parler de la mort. Ils ne supportent pas l’idée de mort car ils
l’associent à l’anéantissement. Ils préfèrent d’ailleurs l’oublier vite et
passer à autre chose…aux multiples projets de la vie. Or, le projet le plus
sérieux que l’humain a à réaliser, c’est la mort. Quelle que soit les
circonstances dans lesquelles nous sommes, elle demeure toujours imminente. La
mort est notre plus proche compagnon. D’ailleurs que serait la vie sans la mort
? En réalité, c’est cette mort de nous détestons tant qui donne sens à la vie.
Elle nous accompagne partout et en tout temps avant de prendre le dessus sur la
vie et s’installer définitivement. Mais de quelle mort s’agit-il ? D’une belle
mort j’allais dire !
Ah oui Maître, « Si nous devons mourir pour nous point de vile
mort […] Si nous devons mourir mourrons de noble mort !» avait écrit Claude
Mackay. Vous êtes partie certes, mais dans la plus grande discrétion malgré la
souffrance. Vous êtes partie en nous laissant une grande leçon de sagesse
devant la mort à l’instar de Socrate : rester digne jusque devant l’ultime
rendez-vous.
Ah oui, pour le philosophe, la mort n’est pas anéantissement
mais une autre forme de vie. Pour le philosophe, la mort est une délivrance.
Ainsi vous pouvez vous exprimer en ces termes :
« Quand je serai mort, quand se seront retirées de moi les raisons qui me portaient avec le souffle, quand mon esprit disparu aura réintégré l’immense journée où tout est égal, quand je serai redevenu petit et que mon corps se sera confondu avec la place qu’il avait occupée dans le monde, alors les vieilles contradictions, les doutes, les rythmes s’évanouiront d’eux-mêmes comme des illusions. »[1]
« Quand je serai mort, quand se seront retirées de moi les raisons qui me portaient avec le souffle, quand mon esprit disparu aura réintégré l’immense journée où tout est égal, quand je serai redevenu petit et que mon corps se sera confondu avec la place qu’il avait occupée dans le monde, alors les vieilles contradictions, les doutes, les rythmes s’évanouiront d’eux-mêmes comme des illusions. »[1]
Aminata Diaw Cissé était une enseignante vivante. Elle savait
capter l’attention de ses étudiants. Elle ne se contentait pas seulement de
faire son cours et de rentrer tranquillement. Elle savait aussi éduquer :
donner des conseils à ses étudiants, les mettre en garde contre la paresse et
la facilité, dans un monde devenant de plus en plus exigeant.
Aminata Diaw Cissé était rigoureuse au travail. Elle n’acceptait
pas de perdre son temps. Cela signifie qu’elle faisait un bon usage du temps,
de son temps parce qu’on en a jamais toujours assez pour en perdre. La mort qui
est le reflet de la finitude humaine lui a donné raison. Aujourd’hui, elle est
partie, mais en ayant une vie remplie et pleine de sens. La vie de Aminata Diaw
Cissé a été consacrée au savoir : la recherche et l’enseignement au service de
sa patrie durant 31 ans, dans le lieu le plus indiqué : l’université.
Mais Aminata Diaw Cissé n’était pas seulement au service de la
pensée. Elle était aussi très engagée dans la recherche de solutions aux
problèmes de notre société. Elle participait activement aussi à relever les
défis auxquels le peuple sénégalais était confronté par son engagement au sein
de la société. Dans « Démocratie des lettrés » l’auteur soutient en ces termes
: “La réaffirmation du rôle des intellectuels dans la modernisation doit sonner
le tocsin de la “politique politicienne”
Malgré sa rigueur et sa grande personnalité, elle avait le sens
de l’humain. Elle comprenait nos peines, nos difficultés dans un espace
universitaire parfois marqué par l’incertitude. Elle avait le souci du travail
bien fait, le sens de la responsabilité, de la liberté mais surtout de la
dignité dans une culture sénégalaise où la femme est souvent reléguée au second
plan. De ce fait, elle était une combattante. Elle était une battante qui
inspirait ses étudiants en général et ses étudiantes en particulier.
J’ai eu le privilège de travailler sous sa direction dans le
cadre de mon mémoire de Maîtrise en 2007. C’est donc dire que c’est elle m’a
initié à la recherche. Son esprit d’ouverture et sa générosité intellectuelle
ont fait que nous avions commencé l’encadrement dès ma licence. Elle me
recevait toujours avec la même humeur (bonne) dans son bureau à la Direction de
l’animation culturelle et scientifique (DIACS) de l’UCAD de Dakar, et par la
suite dans son bureau au CODESRIA.
Je comprends davantage Birago Diop quand il dit que « Les morts
ne sont pas morts ». Ils sont dans nos cœurs. Ils peuplent nos esprits. Ils
habitent nos souvenirs. Car le véritable cimetière des morts est le souvenir
des vivants. En vérité, les morts ne sont vraiment morts que s’ils sont
oubliés. Lutter contre la mort, c’est lutter contre l’oubli. De par vos écrits,
vous avez su lutter contre la mort comme en atteste votre remarquable article :
« La démocratie des lettrés ».
Adieu Maître ! La graine de la recherche que vous avez semée en
moi, et en vos étudiants, continuera toujours de donner de bonnes et abondantes
récoltes. La flamme du savoir que vous avez allumée chez ces milliers d’étudiants
ne s’éteindra jamais. La rigueur, la responsabilité, la liberté, la générosité,
l’amour de la Patrie sont un legs sûr que vous avez laissé à la postérité, à
nous qui avions la chance de nous abreuver dans le fleuve de votre savoir. Une
vie bien remplie équivaut à une éternité.
Merci pour ce témoignage poignant à l’endroit de ma modeste
personne le jour de ma soutenance de Maîtrise. Depuis, j’ai toujours considéré
que ce témoignage vaut mieux que la mention Très bien que j’avais obtenu du
Jury. Et depuis aussi, mes père et mère ne cessaient de me demander de vos
nouvelles. J’étais très malheureux de leur annoncer votre décès en ce vendredi
pas comme les autres. On n’entendra plus jamais cette belle voix nous parler de
Rousseau, de Spinoza, de Hobbes…, mais elle continuera toujours de raisonner
dans nos têtes. Merci pour tout et repose en paix du côté du fleuve, à Saint
Louis, que vous aimiez tant !
Mes condoléances à sa famille biologique et intellectuelle,
surtout à son époux et ses enfants.
Ngor DIENG
Psychologue
conseiller/Philosophe
ngordieng@gmail.com
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