CE QUE PHILOSOPHER VEUT DIRE…
L’homme, animal doué de raison, est aussi un être inquiet. C’est un être complexe. Il n’a jamais cessé, depuis son avènement tellurique, de se poser des questions sur lui-même : d’où je viens ? Qui est Dieu ? Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? Après la mort, qu’en sera-t-il de moi ? Autant de questions qui hantent le sommeil de l’homme et auxquelles il tente toujours, suivant sa démarche, de répondre.
En réalité, ces questions d’ordre existentielles sont des questions philosophiques par excellence, ou du moins ce sont des questions qui exigent des réponses philosophiques.
La philosophie ainsi n’est rien d’autre qu’une tentative d’explication rationnelle du monde et des phénomènes, un essai de réponse aux multiples questions auxquelles l’existence humaine demeure confrontée. Ainsi définie, la philosophie ne se résumerait pas seulement à une discipline exclusivement réservée à l’enseignement dans les écoles et universités, aux élèves et professeurs. Mais elle interpelle tout le monde et n’est l’apanage de personne.
Il faut de ce fait reconnaître que le besoin de philosophie, à toutes les époques, dans tous les lieux s’est fait sentir par la famille humaine. Chacun d’entre nous se pose des questions philosophiques. Chacun d’entre nous est confronté à des réalités métaphysiques, existentielles qui dépassent son entendement et auxquelles sa seule volonté ne saurait répondre. L’homme est un animal éminemment métaphysique.
La philosophie c’est aussi la quête du savoir, la conquête de la vérité, de l’absolu. Or il y a un besoin humain d’acquérir la vérité. Il y a un besoin humain de certitude, d’évidence : cette évidence est un bien dont on a besoin humainement parlant.
Considérée comme telle, la philosophie n’épargne aucun domaine du connaissable : de la science à la religion en passant par la création artistique, le mythe et la magie. Philosopher revient donc selon Karl Jaspers à être en route, être en route vers le savoir, la vérité. Toutefois cette quête de l’absolu suppose une démarche de rupture irréversible par rapport à notre attitude antérieure. Le philosophe, c’est celui qui sait prendre de la distance, du recul par rapport aux évènements. C’est celui qui s’étonne là où l’homme du commun ne trouve aucun sujet d’étonnement. Ainsi sommes-nous en mesure d’accepter la réalité selon laquelle la philosophie est fille de l’étonnement.
La philosophie de ce point de vue exige élévation de la part du philosophe. Celui-ci doit se départir des sens qui selon René Descartes nous trompent. Il doit « apprendre à mourir » pour reprendre le mot de Platon, c’est-à-dire se libérer du corps et de son cortège de plaisirs pour pouvoir contempler les réalités du monde intelligible. Pour Socrate, le philosophe doit se connaître soi-même, c’est-à-dire qu’il doit connaître sa nature divine car il est « un dieu tombé qui se souvient des cieux ».
La philosophie peut être considérée par ailleurs comme une vision du monde, c’est-à-dire une manière d’appréhender le monde, de le comprendre. C’est là une conception allemande qui fait de chacun d’entre nous un philosophe. Mais si la philosophie est définie comme une vision du monde, il faut tout de même reconnaître toute vision du monde n’est pas de la philosophie. Car la philosophie demande une certaine systématisation. C’est une affaire sérieuse, une exigence de rationalité et de vérité.
Le philosophe ne doit pas être celui-là qui s’enferme dans sa tour d’ivoire et qui n’apporte rien de concret à la vie ici-bas. Le philosophe ne doit pas se contenter de contempler le ciel étoilé, symbole de quiétude et d’espoir, mais il doit épouser les réalités qui l’entourent, comprendre les enjeux de l’heure, connaître les défis de sa société et les questions auxquelles elle se pose.
La vie est telle qu’on ne peut pas ne pas se poser des questions existentielles, philosophiques. S’attaquer à la philosophie, nier l’importance de la philosophie c’est la nourrir, c’est être au cœur même de cette discipline qui, de l’antiquité à nos jours, accorde plus d’importance aux questions qu’elle pose qu’aux réponses qu’elle en apporte. La philosophie est loin d’être abstraite. Seulement c’est l’élévation de la réalité jusqu’au concept. Or le concept relève de l’abstraction. Et que tous les esprits ne supportent pas l’abstraction.
La philosophie est le fruit des prouesses de l’esprit humain. Or cet esprit est universel et intemporel. Certes Heidegger disait que la philosophie parle grec, mais il faut reconnaître que la langue de la philosophie est une langue universelle, parlée par tous les peuples. Même si la thèse de l’origine grecque de la philosophie est plus plausible, il faut néanmoins reconnaître l’apport non négligeable de l’Orient dans l’éclosion de cette discipline et l’apport de tous les peules dans son existence et sa survie à travers les âges.
La philosophie n’est ni occidentale exclusivement, ni africaine ni américaine ni asiatique seulement : la philosophie est universelle. C’est un océan sur lequel peuvent naviguer tous les bateaux de l’esprit. La rationalité n’est l’apanage de personne. L’émotion n’est pas seulement nègre et la raison non plus n’est pas seulement hellène. Elles existent en même temps en chacun d’entre nous et cherchent toujours à s’équilibrer pour donner un sens à la vie.
Malgré un monde dominé par les prouesses scientifiques et techniques, la philosophie demeure plus que jamais actuelle, plus que jamais nécessaire. Elle appartient au paysage intellectuel et moral des hommes pour reprendre Georges Gursdoff. La philosophie est d’autant plus utile qu’elle doit jouer le rôle de guidance pour les sciences, d’autant plus que si l’on en croit Edgar Morin, « les sciences n’ont pas conscience des phénomènes occultes qui guident leur élaboration. Les sciences n’ont pas conscience qu’il leur manque une conscience ». Et cette conscience, c’est la philosophie ou du moins, c’est dans la philosophie qu’il faut aller la chercher.
Vivement la philosophie
Ngor Dieng
Philosophe/Psychologue conseiller
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