Du destin d’un peuple - Réflexions sur le Sénégal et l’Afrique Par Ngor Dieng – L’Harmattan 2014 – 153 pages






Du destin d’un peuple
Réflexions sur le Sénégal et l’Afrique
Par Ngor Dieng – L’Harmattan 2014 – 153 pages

Malgré ses 50 ans d'indépendance, le Sénégal demeure plus que jamais un pays à bâtir. Les présidents se succèdent, les gouvernements et les hommes aussi. Mais le grand problème des Sénégalais, ce sont les Sénégalais eux-mêmes, c'est-à-dire leurs comportements et pratiques quotidiens. En cela, aucun président, avec le meilleur gouvernement au monde, ne saurait régler les problèmes des Sénégalais.
Le président Wade a beaucoup investi dans les grands chantiers routiers faisant fi des ressources humaines limitées. De ce fait, malgré « ses réalisations », son règne a été vécu globalement comme un calvaire par le commun des Sénégalais. Ainsi, il urge pour son précurseur, d’investir dans l’homo senegalensis. Car ce dont le Sénégal a besoin, à l’heure actuelle, c’est d’une révolution des comportements et des mentalités.
Il en est de même pour le continent africain qui a subi les affres de l’esclavage et continue de supporter les méfaits de la colonisation. Aujourd’hui, l’Afrique est soumise au néocolonialisme aggravé par la mondialisation et la tyrannie des institutions financières internationales. En réalité, elle n’est pas libre. Elle reste incapable de résoudre elle-même ses propres problèmes et de relever ses propres défis. Ce qui doit pousser les Africains à se mettre au travail.
Dans la première partie de son livre, Ngor Dieng, diplômé en philosophie (DEA) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, porte des regards critiques sur le Sénégal. Il met en exergue les multiples dérives de l’alternance.
Le chemin qui mène à la démocratie est long et parsemé d’obstacles. Pour preuve, aujourd’hui, alors qu’on cite en exemple la démocratie sénégalaise, un journaliste, directeur de publication d’un quotidien de la place est incarcéré. Il s’agit de Madiambal Diagne. Ce dernier a été arrêté suite à la publication d’un article faisant état de documents administratifs confidentiels. Malgré la sensibilité des informations divulguées, force est de reconnaître que Madiambal Diagne n’a pas transgressé les fondements de la déontologie du journalisme. L’opinion publique a besoin d’être informée sur ce qui se passe dans son pays, surtout sur la gestion des affaires de l’État. Madiambal Diagne n’a pas fait le contraire puisqu’il n’a pas fourni de fausses informations (dans ce cas il serait coupable) mais il a donné des informations avec preuves à l’appui.
Cette incarcération n’est que l’aboutissement d’un long processus de déstabilisation de la presse privée qui pourtant, a participé activement à l’avènement de l’Alternance en mars 200. Depuis quelque temps, l’appareil d’Etat a déclenché un processus de menaces adressées aux journalistes en vue d’inhiber la liberté d’expression, un des piliers de la démocratie. Les symptômes d’une société en crises sont manifestes au Sénégal où on néglige et oublie l’histoire. Ces dernières années, ce pays a connu des revers retentissants presque dans tous les domaines. De la politique à la culture, en passant par l’éducation et le sport, le pays de la Téranga offre à l’Afrique et au reste du monde l’image d’une nation malade où tous les secteurs de la vie connaissent de grosses difficultés. Ainsi l’échec sénégalais est fils de l’exception sénégalaise.
Les Sénégalais se croient maîtres en tout, expert dans tous les domaines. C’est en cela que réside « l’exception sénégalaise ». Ils se croient plus intelligents, plus civilisés et plus « occidentalisés » que le reste des Africains. D’ailleurs, ils qualifient ces derniers de « niak », terme wolof, péjoratif du reste car signifiant sous civilisé. Or la réalité est autrement…
Au moment où les autres pays abattent un travail colossal à la base pour se relever, le vain bavardage constitue la chose au Sénégal la mieux partagée. Tout le monde s’érige en spécialiste pour donner sa lecture de la situation et donner son avis sur les questions qu’il ne maîtrise pas pour ne pas dire qu’il ignore totalement.
Les Sénégalais ont le complexe de la célébrité. Ils aiment la célébrité. Quand on est célèbre, on est considéré comme un modèle, comme une référence. Au Sénégal, célébrité est synonyme de richesse, de réussite sociale et de luxe.
Dès que l’on apparaît sur le petit écran, qu’on parle à la radio ou que l’on fasse la une des journaux, l’émotion étant nègre, on s’adjuge une place de choix dans le cœur des Sénégalais. La référence semble être toujours ce qu’on nous présente dans les médias surtout à la télé. Retenez que le danger de la télé, c’est qu’elle a une qualité divine : l’omniprésence.
Or l’histoire de l’humanité nous enseigne que tous les hommes célèbres ne sont pas des modèles, des références et que toutes les grandes figures ne sont pas célèbres.
Au Sénégal, il y a un magma d’experts, de spécialistes en tout ou « toutologues » pour reprendre le néologisme d’un chercheur, de politologues et de sociologues. Ce sont en un mot des intellectuels médiatiques, des individus populistes et véritablement pas des intellectuels. Ils sont suivis et écoutés par le commun des Sénégalais et font des analyses très superficielles et passe-partout des sujets sur lesquels ils sont interrogés. Les sociologues ou « fauxologues » qui interviennent tout le temps dans les médias ne sont pas toujours les meilleurs. Il en est ainsi des politologues, des analystes et autres experts.
La musique, la danse et la lutte occupent tous les médias. Elles créent aujourd’hui les nouveaux riches et les nouvelles personnes célèbres. Mais est-ce réellement les modèles sociaux dont nous avons besoin ? Est-ce que c’est ce genre de réussite sociale que nous devons offrir à notre jeunesse ? Est-ce que les pays développés avaient fait de leur priorité la musique, la danse et la lutte ? Cette question n’exclut pas totalement les loisirs. Ils font partie de la vie des hommes mais n’en sont pas la priorité.
Les Sénégalais doivent revoir leur répertoire des valeurs. Ils doivent remettre en cause leur échelle des valeurs. Les pseudo-valeurs et les anti-valeurs ne sauraient être des valeurs. Les médias doivent travailler à présenter aux Sénégalais des personnes modèles, des références, c’est-à-dire des hommes de valeurs, des hommes de conviction, des hommes constants dans l’effort de la quête du bien, de la droiture et du patriotisme, des hommes aux mœurs insoupçonnables et insoupçonnées. C’est cela qui nous permettra non pas d’avoir une « jeunesse malsaine » comme le disait Abdou Diouf mais une jeunesse saine.
Aujourd’hui, les grands intellectuels de ce pays sont méconnus du grand public et semblent être victimes d’une phobie de la part des gouvernants. On connaît surtout les chanteurs, les danseurs et les lutteurs.
Le peuple, aidé par les médias se nourrit de faits divers, d’histoires populistes, de Lamb (Lutte sénégalaise avec frappe), de chants et de danses à longueur de journée. Le livre est banni de notre environnement et la lecture de nos activités quotidiennes. La vraie culture est laissée en rade au Sénégal. Les Sénégalais ne connaissent que l’aspect folklorique de la culture pensant qu’elle se résume à la danse et à la musique. Pas de littérature, pas de cinéma ! Peut-être Senghor avait raison en disant que le nègre est rythme, le nègre est danse. Faut-il ajouter qu’il est aussi sape [r] !
La deuxième partie du livre est consacrée à l’examen des problèmes et défis de l’Afrique.
La Côte d’Ivoire, « poumon économique » de l’Afrique de l’Ouest est en train de se diviser en deux. Au-delà de la guerre civile qu’il a connue au début des années 2000, l’élection présidentielle du mois du novembre dernier vient de replonger la Côte d’Ivoire dans une situation qui ne favorise pas la réconciliation des ivoiriens, déchirés par une guerre civile, et la reconstruction du pays détruit par cette même guerre civile.
Laurent Gbagbo a perdu l’élection présidentielle ; là-dessus il n’y a point de doute, mais il a opté d’être petit en s’accrochant au pouvoir. Les Africains peinent toujours à intérioriser certaines valeurs universelles ou du moins à vocation universelle : la démocratie, la bonne gouvernance par exemple. Ils ont le goût du pouvoir et sont prêts à l’acquérir et à le conserver par tous les moyens. Les Africains ont un comportement « pathologique » envers le pouvoir. C’est pourquoi on peut donner raison au chanteur ivoirien Alpha Blondy quand il dit que « les ennemis de l’Afrique ce sont les Africains ». Même s’il y a une main étrangère, mue par ses propres intérêts, il y a la complicité des Africains dans ce qu’elle façonne en Afrique pour elle-même.
La marche de l’Histoire fait que les puissances naissent, prospèrent puis, tombent dans la décadence ; et restent très, très longtemps avant de se reconstruire. L’Afrique a connu son tour en étant la terre natale de l’Histoire humaine. L’Europe a reçu sa part de puissance en l’exerçant sous les formes de l’esclavage et de la colonisation. L’Amérique attaque, domine et exploite qui elle veut. L’Asie s’organise, prospère et étend sa puissance. L’Afrique aussi retrouvera son tour au nom de la rotation historique de la puissance. Car, comme l’écrit Ibrahima Sall, « la nuit n’a jamais succédée à la nuit. Le jour s’impose et s’interpose, intéressé et nécessaire ». Le jour va s’imposer tôt ou tard en Afrique.
La fin de l’histoire, ce n’est pas l’avènement, le règne et la domination du système libéral, capitaliste comme le préconise Francis Fukuyama. La fin de l’Histoire, ce sera l’Afrique véritablement indépendante et prospère, assise sur le trône du royaume de l’Histoire Universelle. C’est une conscience collective qui, nonobstant les guerres, les génocides, les dictatures, les coups d’État et la corruption, est en train de prendre forme et de se développer chez toutes les couches des peuples d’Afrique.
Un intellectuel n’est point un « griot de l’Afrique traditionnelle ». Il doit être objectif : apprécier tout à sa juste valeur. Dire non quand il le faut, et oui s’il approuve. Le parcours scolaire, universitaire et professionnel seul ne fait pas un intellectuel, les diplômes amassés non plus.
Un intellectuel, c’est quelqu’un qui s’intéresse à sa société, qui essaye de comprendre sa demande et qui cherche des solutions pour la satisfaction de celle-ci. Il n’est pas quelqu’un qui ne lit jamais et qui parle toujours en spécialiste. Ce qui doit le caractériser, c’est la singularité.
Rendre hommage à Joseph Ki-Zerbo, ce grand Africain, et maître à penser et premier agrégé d’histoire de l’Afrique noire sous domination française s’est imposé à certains de ses admirateurs lors de son décès survenu le 4 décembre 2006. Nul ne peut parler de J. Ki-Zerbo en des termes plus élogieux que Jean Claude Perrier : « Il y a du Socrate chez cet homme-là »
Cet ouvrage bien écrit et bien documenté mérite d’être sérieusement lu et discuté.

Amady Aly DIENG
« Sud Bouquins-Livres », SUD QUOTIDIEN du SAMEDI 05 – DIMANCHE 06 JUILLET 2014, pp. 8 et 9.

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