L’HOMME, LA SCIENCE ET LA CONSCIENCE
« Loin
que le développement de la civilisation diminue le mal, il ne fait que
l’intensifier en rendant la vie de l’individu plus compliquée, plus laborieuse
et plus dure au milieu des mille rouages d’un mécanicien social de plus en plus
tyrannique. La science elle-même, en intensifiant dans l’individu la conscience
des conditions vitales qui lui sont faites par la société, n’aboutit qu’à
assombrir ses horizons intellectuels et moraux ».
Georges Palante : L’individualisme aristocratique, Les belles Lettres, Paris, 1995.
L’homme
est au cœur de la vie. Il est au cœur de l’histoire, l’histoire humaine en
train de se faire, en train de se réaliser. Depuis l’antiquité jusqu’à nos
jours, l’homme n’a jamais cessé de progresser dans le domaine de la pensée, de
la connaissance et de l’action. Il n’a jamais cessé d’améliorer son quotidien,
ses conditions matérielles de vie et d’existence.
Avec
l’avènement du cartésianisme, l’homme s’est rendu compte qu’il pouvait dompter
la nature, la dominer et l’adapter à ses besoins. Pour René Descartes, l’homme doit
être « comme maître et possesseur de
la nature »[1].
C’est ainsi qu’à partir du XVIIème
siècle, la science a commencé véritablement à prendre forme.
Au
XVIIIème siècle appelé
« le siècle des Lumières »[2],
l’idée de progrès est mise en relief par les philosophes. Ces derniers
croyaient au progrès de l’esprit humain, et éventuellement à ses retombées
scientifiques et techniques. L’idéal de progrès était basé sur l’espoir de
voir l’homme aller toujours de l’avant et améliorer son vécu grâce aux
prouesses de l’esprit humain. Ainsi cet homme peut réaliser le bonheur sur
terre en cultivant son esprit et en réalisant les objectifs de la science.
C’est dans ce sillage que Condorcet établit un bilan historique des progrès de
l’esprit humain dans son Esquisse d’un tableau
historique des progrès de l’esprit humain[3].
Cela
s’est poursuit jusqu’au XIXème
avec l’avènement de l’industrialisation. Ce XIXème siècle fut donc
le siècle du développement de l’industrie en Europe et aux États-Unis. Ce fut
aussi le moment de l’idéal positiviste. L’esprit positiviste ou scientiste
considère que la science peut rendre compte de tout et la technique nous
apporter le bonheur. Si l’on en croit toujours l’idéal positiviste, l’Humanité
doit accordait sa confiance à la raison scientifique et à la réussite
technique. Ainsi Stéphane Robilliard pouvait résumer le sens de la science depuis
son avènement :
De
l’humanisme de la Renaissance (et même, en toute rigueur, du rationalisme
matérialiste d’Épicure) au positivisme du XIXème siècle en passant
par Descartes et les Lumières, la science se présente en quelque sorte comme la
méthode du bonheur, d’une part en chassant la peur et d’autre part en prenant
en charge les différents secteurs de l’existence humaine[4].
Ainsi
l’homme poursuit son aventure, celle du développement des sciences et
techniques. Celles-ci ont amélioré considérablement les conditions d’existence
matérielles de l’homme. Et aujourd’hui, grâce à ses efforts constants et
soutenus dans la recherche, les sciences et techniques ont connu un
développement spectaculaire. Grâce à elles, notre monde est devenu un « village planétaire »[5]
ou du moins satellitaire par le biais des Nouvelles Technologies de
l’Information et de la Communication (NTIC). Les frontières géographiques sont
minimisées, les barrières linguistiques effritées, les insularités culturelles
et identitaires dépassées. L’espace et le temps sont réduits. Le monde est
devenu véritablement Un, et l’homme aussi. Il semble se développer une culture
mondiale autour des NTIC.
Du
coup, le progrès fulgurant des sciences et techniques a favorisé l’avènement de
la mondialisation. La mondialisation a
aussi valorisé l’avancée exceptionnelle des sciences et techniques. Cette
mondialisation est aujourd’hui une vague qui ne laisse presque rien sur son
passage. C’est une mouvance mondiale qui ne laisse personne indifférent, aucun
pays en toute liberté et aucune société dans la dynamique qui est la sienne.
Depuis le début des années 1990, la « mondialisation » désigne une
nouvelle phase dans l’intégration planétaire des phénomènes économiques, financiers,
écologiques et culturels. D’aucuns la considèrent comme une sorte
d’universalisation du modèle occidental. Cette volonté de l’Occident de se
hisser au sommet de la planète et des valeurs est née, - peut-être - de l’idée d’Europe au siècle des Lumières
après la traversée de la crise de la conscience
européenne. [6]
Ce
phénomène mondial, des temps modernes du reste, agite forcément la question de
la place de l’homme. Il pose la question de la responsabilité de l’homme face à
toutes les dérives qui découlent de la mondialisation et de l’application des
sciences et techniques.
L’homme,
aux vues de la marche actuelle - et peut-être irréversible du monde et des
attributs voire des prétentions de la science -, ne doit-il pas être
repensé ? Quel doit être aujourd’hui son rôle face à la montée de certains
phénomènes comme le nucléaire, les changements climatiques et environnementaux,
le clonage, l’eugénisme, la bioéthique, etc. ? Quels doivent être les
nouveaux défis de l’homme ? La question de la mondialisation et du
développement des sciences et techniques n’appelle-t-elle pas ipso facto celle
de l’homme ?
Aujourd’hui,
la notion de progrès doit même être repensée car,
De la
révolution agricole à celle plus récente de l’industrie, les acquis sont
considérables. De la pierre taillée à la machine, de l’âne à l’avion, du tison
à la lumière, l’Humanité a certes accompli des progrès formidables. Mieux
encore, aujourd’hui l’homme se rend aisément à la lune, et les plus récentes
révolutions atomiques et binaires ne cessent d’élargir ses horizons
scientifiques et ses prouesses technologiques. Mais malheureusement, il reste
malade de tout progrès qu’il n’arrive pas encore à domestiquer et à orienter
pour que règnent enfin la paix et la concorde entre les hommes.[7]
Cette
longue citation nous fait penser à Jean-Jacques Rousseau qui, malgré son
appartenance au XVIIIème
siècle, remettait en cause l’idée de progrès. Pour l’auteur du Discours sur les sciences et les arts,
le progrès tant chanté par ses contemporains est à examiner de près. Il est
plutôt un développement matériel qui participe à la dépravation de l’homme. De
ce fait, Rousseau pense que le vrai progrès doit être qualitatif et mettre
l’homme au cœur de ses réelles préoccupations éthiques. Il s’attaque aux
sciences parce qu’il défend la vertu. Rousseau écrit clairement ceci :
« Ce n’est point la science que je
maltraite me suis-je dit, c’est la vertu que je défends devant les hommes
vertueux. »[8]
Les
sciences et techniques constituent donc une puissance remarquable pour l’homme.
Elles sont loin d’être à leur terme. Il reste aux sciences et techniques
beaucoup de choses à connaître et à faire. Aujourd’hui, nous semblons être face à l’imprévisible pour reprendre le
titre d’un ouvrage de Joseph Basile. La mondialisation est enclenchée, les
recherches scientifiques et techniques continuent et malgré cela, l’Humanité
rencontre de plus en plus de difficultés, l’homme se trouve confronté à de
réels problèmes d’ordre éthique, axiologique et humanitaire liés aux guerres,
aux maladies, aux catastrophes naturelles et à la faim.
Voilà
que son devoir de trouver des solutions se heurte à son désir et/ou idéal de
poursuivre ses découvertes scientifiques et techniques. L’idéal scientifique et
les intérêts liés à la mondialisation ne doivent pas désorienter l’homme,
c’est-à-dire lui ôter sa place centrale. Les sciences et techniques doivent
être accompagnées par l’éthique sans laquelle elles sont vouées à la dérive. Le
revers de la médaille est une menace constante pour l’Humanité.
Ngor DIENG
Philosophe/Psychologue conseiller
ngordieng@gmail.com
[1] René
Descartes : Discours de la méthode-VIéme Partie.- France :
Librairie Générale Française, 2000, 254 pages.
[2] A
la suite du XVIIème siècle caractérisé par le « Classicisme », le XVIIIèmesiècle
est appelé siècle des « Lumières »
parce qu’il ne considère que la raison ou « lumière naturelle » comme seul guide sûr et crédible. Désormais
tout est soumis à la lumière de la raison qui s’emploie à détruire les préjugés
et à diffuser les lumières. Le XVIIIème siècle est ainsi un siècle
de grands bouleversements tant sur le plan intellectuel, politique que
religieux. C’est un siècle qui a vu, avec l’intronisation de la raison, le
triomphe de celle-ci sur la superstition, sur les croyances traditionnelles et
religieuses ainsi qu’une volonté manifeste de l’esprit de percer le mystère de
la nature afin de la dompter.
[3]
Condorcet : Esquisse d’un tableau
historique des progrès de l’esprit humain.- Paris : Flammarion, 1988,
350 pages
[4] Stéphane Robilliard : Thèmes d’actualité philosophiques, 2003-2004,
Paris, Vuibert, 2003, 201 pages.
[5] Le village
planétaire (en anglais Global Village), est une expression de Marshall Mc Luhan, tirée de son
ouvrage The Medium is the Message paru en 1967, pour qualifier les
effets de la mondialisation, des médias et des technologies de
l'information et de la communication. Selon ce philosophe et sociologue,
« les moyens de communication audiovisuelle modernes (télévision, radio,
etc.) et la communication instantanée de l'information mettent en cause la
suprématie de l’écrit ». Dans ce monde unifié, où l’information véhiculée
par les médias de masse fond l’ensemble des microsociétés en une seule. Il n’y
aurait selon lui désormais plus qu’une culture, comme si le monde n’était qu’un
seul et même village, une seule et même communauté « où l'on vivrait dans
un même temps, au même rythme et donc dans un même espace ». La capacité,
pour une personne, à récupérer des informations très rapidement en n’importe
quel point de la planète (raccordé à un réseau) donne
l’impression d’être dans le même endroit virtuel, dans le même
village.
[6] Gilbert Py : L’idée d’Europe au siècle des Lumières, Paris,
mars 2004, 255 pages et Paul Hazard : La crise de la conscience européenne. Fayard, 1961.
[7] Abdourahmane Abdara
Samb : Procès de l’entendement, Sénégal :
Les éditions Xoole, 2010,
[8] Rousseau Jean-Jacques : Discours sur les sciences et les arts,
p.237.
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