HYPER-MODERNITÉ ET TRADITIONS : VERS LA DISPARITION DE NOTRE PATRIMOINE CULTUREL
La modernité appartient désormais aux
siècles passés (XVIIème, XXème siècles). L’hyper-modernité
est le propre du XXIème siècle. Grâce au développement spectaculaire
des sciences et techniques, l’humanité tout entière s’est engagée dans une
modernité accélérée qui a atteint aujourd’hui sa vitesse de croisière. Notre
modernité est devenue, en cette ère de la mondialisation, une hyper-modernité
qui n’épargne aucun secteur de la vie de l’homme sur terre : de la
religion à la culture en passant par l’économie, la politique, la société, le
sport, etc.
L’homme s’est engagé dans un processus
de développement remarquable et irréversible. De nos jours, les distances sont réduites,
les frontières géographiques et les insularités culturelles transcendées au
profit d’une mondialisation qui vise à uniformiser les visions du monde et les
pratiques humaines. Nous vivons, désormais, dans un monde où le virtuel a pris
le dessus sur le réel, l’être sur le paraître, le matériel sur le sens de l’humain.
Les médias et internet ont remplacé l’arbre à palabre de notre société
traditionnelle, avec tout ce qu’il symbolisait. Les réseaux sociaux sont
devenus le nouvel espace public au moment où la télévision, l’ordinateur et le
téléphone portable se sont substitués aux parents.
Au même moment où l’homme semble avoir
une maîtrise parfaite de la nature, par le moyen des sciences et techniques, en
particulier des TIC (Nouvelles technologies de l’Information et de la
Communication), il semble perdre le contrôle sur lui-même. De ce fait, il est
entré dans une sorte de spirale de déshumanisation. Nous sommes désormais à
l’ère de la déshumanité. Le sens de
l’humain a régressé au profit de l’argent, du luxe, de l’extravagance et du
sensationnel.
Cette hyper-modernité a profondément
secoué notre structure familiale et notre organisation sociale. Elle a lamentablement
atteint notre patrimoine culturel, la culture étant, au sens propre du terme, le
plus puissant levier de développement. On assiste ainsi à la dislocation de la
cellule familiale, à l’anarchie sociale, à l’hybridité culturelle et
identitaire dans une période secouée par une crise d’autorité profonde et un
manque de repères cruel. Chacun semble être son propre chef dans un monde qui prône
la liberté. Or la liberté sans responsabilité n’est-elle pas libertinage ?
Les distances sont minimisées mais
l’homme est éloigné de lui-même et de son prochain. En réalité, l’homme est devenu étranger à
lui-même, à son prochain et à son propre monde. Il a du mal à se retrouver dans
un environnement où tout est chamboulé jusqu’aux repères religieux, sociaux et
culturels.
Il importe aussi de remarquer que, de
nos jours, la modernité n’est plus l’apanage des villes et/ou centres urbains.
Elle s’étend à grand pas dans le monde rural, c’est-à-dire dans les villages
les plus reculés, dernier bastion d’un certain conservatisme culturel par
l’effet de l’exode rurale et de l’accès à l’électricité des zones les plus
reculées du pays.
Ainsi, on peut noter que les problèmes
de notre société ne se règlent plus dans la sagesse et la discrétion mais dans
les médias et réseaux sociaux où doctes et ignorants se côtoient en ayant le même
droit à l’expression de leurs idées. L’Etat a du mal à contrôler, sur tous les
plans, ce qui nous vient de l’étranger. Dans une conjoncture économique rude,
les parents ont démissionné, laissant libre court à leurs progénitures.
Celle-ci sont laissées à elles-mêmes sans base culturelle solide. Les
téléfilms, WhatsApp, Facebook et autres réseaux sociaux ont remplacé les contes
nocturnes qui aidaient à aiguiser l’esprit et à structurer la personnalité des
jeunes. Les jeux vidéo ont pris la place des jeux réels qui mettaient en
exergue la créativité, l’imagination, le courage, l’honneur et la dignité des
plus petits. Il n’existe plus de classes d’âge mais des jeunes et des vieux qui
partagent un même espace public fait d’insolence et d’indiscipline notoires,
sous le regard impuissant d’une société complice de cette situation.
Notre société s’est profondément
métamorphosée. Elle s’est trop ouverte sans s’enraciner réellement et
profondément. Elle a perdu de sa quintessence culturelle au profit de cultures
étrangères qui ne prennent pas forcément en compte nos spécificités
culturelles. On peut retrouver, facilement et presque dans tous les foyers
sénégalais, des éléments de la culture occidentale, arabe, chinoise, hindoue,
latino-américaine, et rarement des aspects de nos traditions culturelles mis en
relief et/ou valorisés surtout auprès de la jeunesse. Nous sommes en face
d’une jeunesse qui ne s’abreuve plus aux sources de nos traditions et de nos
cultures, mais aux prairies de la culture américaine, française, thaïlandaise, brésilienne…
C’est pourquoi, les plus âgés semblent ne plus se reconnaître dans la face
culturelle de notre société actuelle, qui ne reflète plus nos réalités mais qui
semble plutôt être un cocktail, c’est-à-dire un mélange socio-culturel et
religieux. Tous les écarts sont permis à une jeunesse qui a sauté des étapes
importantes et des espaces indiqués de sa socialisation : la famille en
dislocation, l’école en crise, la société à la retraite et l’Etat en faillite.
Les piliers de notre société que sont
l’éducation, la discipline, le droit d’aînesse, le travail, la discrétion, la
parole donnée, la dignité, l’honneur, le courage sont sapés au profit de
pseudo-valeurs et contre-valeurs que sont l’ignorance, la paresse, le gain
facile, le vol, le détournement des biens communs, la mauvaise mentalité envers
la chose publique, le mensonge, le viol, l’agression, l’assassinat, bref la
recherche effrénée du luxe, du matériel et par conséquent du seul plaisir
mondain ; et cela, à tout prix.
La sagesse ancestrale, pour ne pas dire
traditionnelle, s’est tue laissant le terrain libre à une jeunesse ignorante, prétentieuse
et pressée. Le religieux est fortement teinté de mondanités au point de perdre sa
splendeur et sa sève spirituelles. Le politique court derrière le pouvoir pour
ses propres intérêts au détriment de la satisfaction des besoins réels des
citoyens. Tout le monde semble courir, sans mesure ni précaution aucune, derrière
la réussite qui ne semble se résumer, à notre époque, qu’à sa dimension
matérielle aux yeux des sénégalais.
Aujourd’hui, tout ce que nous
conservons et valorisons de notre culture tourne autour du folklore - c’est-à-dire
de la musique et de la danse -, des jeux stériles et pas forcément du travail
de l’esprit, c’est-à-dire de l’imagination et de la créativité, sources du
véritable progrès humain.
En définitive, nous voulons dire que
notre monde en générale et notre société sénégalaise en particulier sont en
danger de progrès. Les responsabilités sont partagées. Nous avons tous intérêt
à revoir notre copie, à réinventer une nouvelle société où seront réunies, dans
une parfaite harmonie, ce qu’il y a de moderne dans nos traditions et ce qu’il
y a d’humain dans la modernité.
Ngor DIENG
Philosophe/Psychologue
conseiller
ngordieng@gmail.com
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