LE PÉRIPLE AFRICAIN DE DE GAULE D’AOUT 1958
« L’indépendance n’est
pas toujours la « décolonisation » »[1]
1958 fut une année mémorable dans l’histoire de la décolonisation.
Elle fut l’année où le référendum de septembre 1958 a été organisé pour soit,
rester dans la communauté française (OUI) soit prendre immédiatement
l’indépendance (NON).
Pendant plusieurs jours, le général de Gaule, chef du gouvernement
français, voyage avec sa suite à travers l’Afrique et Madagascar pour présenter
lui-même, en signe de respect, son projet de constitution aux populations
d’outre-mer et solliciter directement leur approbation massive. Il y a environ vingt mois que les colonies
françaises vivent sous le régime de la loi-cadre connue aussi sous le nom de
loi Defferre, loi-programme visant à créer l’autonomie interne des territoires
sous le contrôle d’un gouvernement territorial dirigé par le chef du parti
dominant en réservant certains pouvoirs importants au gouverneur. L’esprit de
la loi-cadre, c’est de préparer les colonies à gérer leurs propres affaires,
donc à préparer les Africains aux grandes fonctions de responsabilité
administratives.
En une dizaine de jours de Fort Lamy (devenu Ndjamena) au Tchad à la place
Protêt de Dakar au Sénégal (26 août), en passant par Alger, Brazzaville (23
août), Tananarive (Antananarivo) à Madagascar, Abidjan (dimanche 24 août),
Conakry (25 août), revenu aux affaires à la fin du mois de mai 1958, comme
président du Conseil, Charles de Gaulle entame le 20 août un périple africain
de 20. 000 km dans les colonies
françaises d’Afrique pour le triomphe du OUI au référendum du 28 septembre
1958.
C’est alors que la Guinée de Sékou Touré entra, dans l’histoire en
votant pour le NON fatidique qui signifie le choix de l’honneur, de la dignité
et de la liberté. Car la pensée nationaliste telle que Sékou Touré l’exprime en
1958 implique un anticolonialisme viscéral ainsi que des idées de liberté, de
dignité, d’unité et de progrès. Le face à face entre le sily de Conakry et
l’ « homme du 18 juin » ou le leader de la croix de Lorraine,
celui qui s’appelait lui-même le « symbole vivant de l’espérance de la
France » atteindra son paroxysme quand Sékou Touré, démontrant ainsi son
don exceptionnel, prononça, tel une étincelle qui jaillit d’une torche
incandescente, le maître-mot, la formule magique lapidaire « NOUS PRÉFÉRONS LA PAUVRETÉ DANS LIBERTÉ A LA RICHESSE DANS L’ESCLAVAGE » au
milieu des acclamations de la foule hypnotisée.
Pour beaucoup de gens, cette phrase idéaliste, pleine de défi et
d’orgueil, et désormais fameuse reste l’essence même du discours du 25 août, le
symbole de la geste et de la pensée de Sékou Touré. On la cite, on la
psalmodie. Mais, qu’elle est lourde de conséquences !
On peut donc comprendre dès lors la portée des discours de Sékou
Touré et du général de Gaule à l’assemblée territoriale de Conakry le 25 août
1958. Ces deux allocutions par deux personnages charismatiques retentissent
comme deux chocs grandioses représentant deux conceptions différentes du
nationalisme et de l’histoire. Le dialogue était possible, mais le caractère et
la personnalité sont entrés en jeu pour empêcher un accord pourtant souhaité de
part et d’autre. En somme, les accidents, la méprise et les traits de caractère
individuels jouent un rôle dans la manifestation des forces historiques.
Quoi qu’il en soit, le mythe de Sékou Touré comme champion de la
cause africaine symbolisant le courage, la témérité et les grands rêves, voit
le jour à cette date. Le 2 octobre 1958 marqua la déclaration solennelle de
l’indépendance guinéenne.
La coopération française se retira pour abandonner la Guinée à elle
seule. Sékou Touré fut alors appel à de dignes fils du continent pour venir
soutenir la jeune République de Guinée indépendante par l’intermédiaire de son
émissaire et ministre de la justice Tibou Tounkara. Ainsi une vague
d’intellectuels, d’universitaires, de cadres rejoignirent la Guinée. Ils
pensaient qu’il fallait aller en Guinée. Ce n’était pas la carrière, selon
Jacqueline Ki-Zerbo, c’est être fidèle à son idéal et à son engagement. Ils avaient
pour nom, entre autres : Joseph Ki-Zerbo (premier agrégé noir d’histoire),
son épouse Jacqueline Ki-Zerbo, Abdou Moumouni (premier agrégé noir de physique),
Mame Ndiack Seck de Mauritanie, Yves Benot et Jean Suret Canal de la France. Le
professeur Boubacar Barry qui n’avait que 15 ans à l’époque, était élève au
lycée de Donka. « En fait, je dirais qu’en 1958, le lycée de Donka de Conakry
avait le plus grand nombre d’agrégés au mètre carré, en tout cas plus que tout
autre établissement français » dira-t-il lors d’une rencontre d’hommage au
professeur Ki-Zerbo à Dakar en mai 2005.
De Gaule quitta Conakry pour Dakar où il fut accueilli à la place
Protêt devenue aujourd’hui Place de l’indépendance en l’absence de Léopold
Sédar Senghor et Mamadou Dia. Valdiodio Ndiaye (1923-1984), représentant du conseil du
gouvernement du Sénégal, alors ministre de l’intérieur et de l’information prononça
un discours resté mémorable devant une foule immense infiltrée massivement par
des porteurs de pancartes. Il n’avait que 35 ans. Et pour cet avocat de
formation : « l’indépendance est un préalable. Elle n’est pas une fin
en soi. Elle n’est pas un idéal en elle-même, mais pour ce qu’elle rend
possible. Elle ne véhicule pas une volonté de sécession. Elle ne recèle aucune
intention d’isolement ni de repliement sur soi. »
De Gaule prit la parole à la suite de Valdiodio
Ndiaye pour prononcer ces mots restés mémorables : « Je vois que
Dakar est une ville vivante et vibrante : je ne me lasserai pas de la saluer en
raison des souvenirs qui m'y attachent, en raison, aussi, des espérances que
j'y ai placées. Je veux dire un mot d'abord aux porteurs de pancartes :
s'ils veulent l'indépendance à leur façon, qu'ils la prennent le 28 septembre.
Mais s'ils ne la prennent pas, alors, qu'ils fassent ce que la France leur
propose : la communauté franco-africaine. »
Amady Aly Dieng, 26 ans à l’époque fut témoin oculaire de cet instant
historique. Il relate cet épisode dans ses Mémoires. Il était déjà élève à
l’ENFOM[2]
quand il fut désigné par la FEANF[3]
pour participer à la campagne pour le triomphe du NON au référendum de septembre
1958. Il a partagé le même chemin du retour que le marabout Cheikh Mbacké
Gaïndé Fatma. Ce dernier (le marabout) avait laissé son véhicule et son
chauffeur à Sandaga pour faire le reste du chemin aller-retour menant à la
place Protêt à pieds.
Cette participation de feu Amady Aly Dieng lui avait valu son
exclusion de l’ENFOM où il était avec Cheikh Hamidou Kane, Babacar Ba,
Christian Valentin…Les autorités français lui ont fait savoir qu’un futur
administrateur de la France d’Outre-mer ne pouvait pas défendre des positions
anti-françaises. C’est pourquoi, elles lui ont mis à la porte.
La FEANF en a profité pour l’envoyer à Accra, la représenter à la
conférence des peuples. Il y a rencontré Lumumba pour la première fois, avec
lequel il a longuement discuté. Amady Aly Dieng se dit se souvenir encore de
Karim Gaye, de Doudou Thiam, d’Abdoulaye Ly, d’Ernest Ouandié, de Tom Boya, de
Pierre Djomi, le compagnon de Lumumba.
Senghor était en vacances en Normandie alors que son ami Mamadou Dia
était en Suisse où il passait, lui aussi, ses vacances. Est-ce qu’une volonté
de ne pas assumer la responsabilité historique d’accueillir de Gaule à Dakar
pour accepter de voter le OUI alors que la masse populaire aspirait
profondément à l’indépendance par une campagne notoire pour le NON ?
De toute façon, là où la Guinée a choisi de voter pour le NON, le
Sénégal vota pour le OUI et resta dans la « communauté
franco-africaine ». Il prit son indépendance en 1960 dans le cadre de la
fédération du Mali qui regroupait le Sénégal et l’ancien Soudan français. Cette
fédération n’a pas fait long feu. Elle était minée par de profondes questions
d’orientations politiques et des querelles de positionnement entre Senghor et
Modibo Keita. Finalement elle éclatera la nuit du 19 au 20 septembre 1960 et le
Sénégal retient la date du 4 avril (transfert du pouvoir) pour fêter son
accession à la souveraineté internationale.
De
la même manière que la cohabitation entre maliens et sénégalais n’a pas pu
réussir et résister au temps, de la même manière la cohabitation entre Senghor
et Dia n’a pas fait long feu à la tête de la jeune nation sénégalaise
indépendante. En décembre 1962, éclata la crise entre Senghor et Mamadou Dia.
Le premier accusa le second de préparer un coup d’Etat…Cette crise de 1962 a
pesé lourdement sur l’histoire politique et sociale du Sénégal et continue
aujourd’hui d’avoir des répercussions dans la trajectoire historique de notre
pays.
Soixante
après ce fameux périple, où en est encore les pays francophones d’Afrique par
rapport aux sérieuses questions du développement et de l’indépendance
économique, sociale et culturelle véritable ? N’est-il pas encore temps de
repenser nos relations avec la Métropole ? Après plus d’un demi-siècle
d’indépendance, ne pouvons-nous pas apostropher, sous la forme interrogative,
le fameux livre de René Dumont : L’Afrique noire n’est-elle pas mal
partie ?
Ngor DIENG
Psychologue conseiller
Références bibliographiques
1. Mémoires d’un étudiant africain. Volume I
: De l’école régionale de Diourbel à l’Université de Paris (1945-1960). Amady
Aly Dieng. Dakar, CODESRIA, 2011, 194 p
2. Mémoires d’un étudiant africain. Volume II : De l’Université de
Paris à mon retour au Sénégal (1960-1967).
Amady Aly Dieng. Dakar, CODESRIA, 2011, 202 p
3.
Kaba Lansiné : Le ‘’non’’ de la Guinée à De Gaule, vol 1, Editions Chaka,
Paris
4.
Au professeur Joseph Ki-Zerbo : Hommages et Témoignages, série Etudes et recherches, n°277, Dakar.
5. Dumont René, L’Afrique
noire est mal partie, Editions du Seuil, 1962.
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