ESPACE PUBLIC ET RÉSEAUX SOCIAUX AU SÉNÉGAL
Avec la naissance et l’évolution d’Internet, nous assistons
aujourd’hui à l’avènement des réseaux sociaux. Le terme « réseau
social » est un concept majeur en sociologie dans l’étude des relations interpersonnelles
au sein d’une communauté. Dès le début du XXème siècle, des
chercheurs se sont intéressés à l’analyse des réseaux sociaux, en se penchant
sur les types de relations sociales. En ce sens, les réseaux sociaux sont des ensembles de relations sociales de
natures plurielles avec une diversité d’acteurs sociaux qui sont entretenus par
différents canaux de communication.
Dans ce présent
article, le concept de « réseaux sociaux » renvoie à des communautés virtuelles permettant aux individus
de créer leur propre profil public, d’interagir avec leurs connaissances et de rencontrer
de nouvelles personnes partageant certains centres d’intérêt via internet. C’est pour dire que les réseaux sociaux
sont en train de révolutionner l’espace public mondial et au-delà même, notre
conception de la démocratie.
Quant à l’espace public, il évoque non
seulement le lieu du débat politique, de la confrontation des opinions privées,
de la cohabitation des sensibilités religieuses, mais aussi une pratique démocratique
et une forme de communication, de circulation des divers points de vue. Ainsi
défini, l’espace public constitue donc la sphère publique d’expression du
pluralisme politique, culturel et religieux. Il offre la possibilité de parler
librement de tous les problèmes de société. La constitution de l’espace public
devient alors inséparable de la lutte pour la liberté de pensée, d’expression
et le suffrage universel surtout dans les démocraties dites modernes.
Aujourd’hui, les problèmes politiques, économiques, sociaux, culturels,
religieux, d’éducation, de santé, de sécurité…sont débattus librement dans
l’espace public. De ce fait, il n’est pas donc étranger à l’Afrique en général
et au Sénégal en particulier.
Aussi longtemps que l’on remonte
l’histoire de la société sénégalaise, on retrouve une sorte d'espace
public qui, même s’il n’était pas toujours accessible à tout le monde,
constituait tout de même un lieu d’échanges, d’interactions, d’expression du
pluralisme et de prise de décisions touchant les choix et orientations de la
communauté. Il faut noter que cet espace public avait aussi ses permis et
défendus. Par exemple les Penc.
Dans la société sénégalaise
traditionnelle, l’espace public était symbolisé par « l’arbre à palabre ».
Il servait de cadre, pour les sages et les initiés du village, de discuter des
questions concernant la communauté, qu’elles soient d’ordre politique,
économique, social, culturel ou magico-religieux. C’était un espace public
plutôt élitiste, qui n’était pas accessible à tout le monde, surtout à certains
hommes et femmes non-initiés, étant entendu que les femmes avaient un espace
public, au besoin, qui leur était propre. Ainsi l’espace public n’est plus
l’apanage de sages et d’initiés seulement, il n’est plus réservé exclusivement
à la sphère du sacré, du magico-religieux, mais s’est ouvert à toutes les
couches de la société sans distinction d’ethnies, de religion, d’âge, de rang
social ou intellectuel.
L’avènement de la démocratie libérale
(pour ne pas dire occidentale) a libéré la parole et l’a rendue accessible à
tous les citoyens surtout dans les zones urbaines. Désormais, l’espace public
est accessible à tout le monde et la parole est donnée à n’importe qui. C’est
le cas de certaines émissions radiophoniques où le citoyen a la possibilité d’appeler
pour s’exprimer sur la question du jour et parfois même, sur n’importe quel
autre sujet d’actualité. La parole est ainsi non seulement accessible aux
doctes, mais aussi aux ignorants, aux non-initiés et aux extrémistes de tout
genre. Cette désacralisation de l’espace public sénégalais a été facilitée par
l’avènement de la démocratie participative, le développement des médias et
aujourd’hui les réseaux sociaux.
Dans le même ordre d’idées, l’avènement
des réseaux sociaux a dopé et chamboulé la prise de parole dans l’espace public
: les langues se délient. Certes c’est un espace public virtuel, mais qui a des
impacts réels dans le fonctionnement de notre société et la santé de notre
démocratie. Les réseaux sociaux ont arraché la parole aux décideurs,
politiques, intellectuels, journalistes, etc. pour la donner à tout le monde.
C’est une opportunité réelle pour chacun de s’exprimer sur n’importe quel sujet
et de partager son point de vue avec le monde, avec ce monde virtuel qui est partout
et nulle part.
Ainsi pourrait-on dire que l’éthique de
l’espace public s’effrite pour céder la place à un chaos moral, symbole d’un
malaise social, politique, économique et culturel profond. La recherche
effrénée du buzz a pris le dessus sur la recherche perpétuelle du bien, du bon
et du beau. Il ne s’agit plus d’être mais de paraître. C’est le règne de la
société d’apparence, du narcissisme béat. Il ne s’agit plus de faire mais de
dire, bien que pour Austin, dire, c’est faire. Aujourd’hui être citoyen, c’est
être et s’exprimer dans les réseaux sociaux, y franchir même les limites du
dire socialement et culturellement acceptées et acceptables.
La démocratie en général, les réseaux
sociaux en particulier, ont tué le culte de la personnalité, le respect de
l’autorité, l’égard vis-à-vis des anciens, la reconnaissance et la préservation
de leurs œuvres. Ils ont fortement affaibli ce qu’on appelle chez nous le droit
d’aînesse. Tout le monde a le droit à la parole. Tout le monde parle à tout le
monde d’égal à égal. En permettant à
tous d’accéder à la parole, les réseaux sociaux ont contribué à rabaisser le
niveau du débat public. Cette tendance ne donne-t-elle pas raison aux
pourfendeurs de la démocratie qui pensent que celle-ci ne promeut que les
médiocres ?
Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont à
l’origine de beaucoup de dérives et scandales terribles dans notre société. Ces
dérives et scandales sont dus au paradoxe qui caractérise les réseaux sociaux.
Ils forment un espace à la fois privé et public. Ce qui au départ et par
essence est privé, peut être toujours rendu public volontairement ou par
mégarde. Les réseaux sociaux sont devenus le nouvel eldorado pour certains déviants
de la société et mécontents de notre pays. Le bien peut prendre la direction du
mal. Cette tournure que les réseaux sociaux ont prise dans notre pays
interpelle notre responsabilité, la responsabilité de tout un chacun : du
Président de la République au citoyen lamda. Il n’y a pas de liberté sans
responsabilité. Sinon on aboutit au libertinage, au désordre et à l’anarchie.
Il faut restaurer l’autorité dans ce
pays, le contrôle, la retenue et le sens de la responsabilité. Cette autorité
ne peut être restaurée que quand elle va sanctionner les coupables, de quel que
bord qu’ils soient, de manière juste et équitable. Les réseaux sociaux donnent la possibilité de s’exprimer librement,
mais ne donnent pas le droit d’insulter les autres ou de rendre public certains
aspects de leur vie privée. Il ne s’agira pas d’interdire l’usage des
réseaux sociaux, mais de le contrôler pour limiter les dégâts, d’autant plus
qu’aussi bien enfants, adolescents et adultes les utilisent pour s’exprimer au
sens psychologique du terme.
Ngor DIENG
Psychologue
conseiller/Philosophe
ngordieng@gmail.com
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