DIALLO TELLI : UN GRAND AFRICAIN AU DESTIN TRAGIQUE[1]
Boubacar Telli Diallo est né en 1925
dans la petite localité de Porédaka, en plein cœur du massif du Fouta Djallon,
dans ce que les géographes appellent aussi la Moyenne Guinée. Il entre tôt, à
peine âgé de 6 ans, à l’école coranique, puis à l’école primaire de Porédaka.
Le chef de Canton remarque ce jeune garçon intelligent et travailleur et le
pousse à continuer. En 1940, à l’âge de 15 ans, il entre en cinquième année de
l’école de Mamou, alors que sa famille s’installe à Téliko, tout près de la
ville. Peu après, sur les conseils de ses maîtres français, il est envoyé à
Conakry, capitale de la colonie. Il poursuit ses études à l’école primaire
supérieure, futur lycée classique de Donka, dans la banlieue de la ville.
Malgré des résultats brillants, Diallo Telli ne passe pas le baccalauréat :
ce n’est qu’en 1950 que sera attribué en Guinée même le premier diplôme de ce
niveau. Aussi Telli fera-t-il comme beaucoup de jeunes Guinéens, notamment ceux
issus de familles peules quelque peu aisées : il complétera ses classes à
Dakar, à l’école William Ponty de Sébikotane, créée à Saint Louis du Sénégal en
1903 et transférée à Gorée en 1912, où l’élite intellectuelle de l’Afrique de
l’Ouest prépare son avenir. Toutefois la famille de Telli n’a pas les moyens de
subvenir longtemps à ses besoins et il ne passe finalement pas les examens,
mais réussit à entrer dans l’administration coloniale, à un niveau modeste.
Nous sommes en 1946 ; Diallo Telli à 21 ans.
Alors qu’il est employé dans les
services généraux du gouvernement général de l’Afrique occidentale français à
Dakar, comme fonctionnaire du cadre commun secondaire de l’AOF, un jeune
administrateur français avec lequel il travaille, Pierre Cros, évoque devant lui
la possibilité de faire une carrière autrement intéressante et brillante dans
l’administration ou la magistrature coloniales, grâce à l’Ecole nationale de la
France d’outre-mer (ENFOM). Mais pour cela, il faut avoir son baccalauréat et
ensuite se rendre à Paris. Diallo Telli profite donc des dispositions
particulières adoptées à l’époque pour la promotion des jeunes cadres
africains. Elles permettent notamment à ceux qui sont diplômés de l’école
William Ponty de passer leur baccalauréat en vue d’effectuer des études
supérieures en France.
L’année scolaire 1946-1947 voit par
conséquent Telli revenir sur les bancs du lycée de Dakar pour y préparer les
deux parties du bac et les réussir. Il a notamment comme professeur Jean
Suret-Canale, universitaire membre du parti communiste français. On le
retrouvera une dizaine d’année plus tard parmi les très rares enseignants
français qui accepteront de rester en Guinée après l’indépendance, sous contrat
local guinéen, contre la volonté expresse du gouvernement français de l’époque,
qui les sanctionnera en mettant fin à leurs liens avec l’administration
française ou en les pénalisant par le refus de compter dans leur ancienneté les
années passées à enseigner dans ce pays.
Une fois nanti du précieux diplôme,
Telli part pour la France et s’inscrit d’emblée à la faculté de droit et des
sciences économiques de Paris, située en place du Panthéon, en plein Quartier
latin. Outre la licence en droit et en sciences économiques, Telli prépare
également avec assiduité le concours d’entrée à l’ENFOM. C’est une véritable
existence d’étudiant parisien que vit Telli pendant ces quelques années.
Pendant l’été 1951, Diallo Telli, qui vient de réussir sa licence en droit et
en sciences économiques, est reçu premier au concours « B » de
l’Ecole nationale de la France d’outre-mer, réservé aux jeunes gens déjà
fonctionnaires. Au cours de ce même été, il se marie avec Kadidiatou Diallo,
une Guinéenne de trois ans plus jeune que lui, originaire de Yambering, petit
village près de Labé.
Major de sa promotion, au lieu de choisir la filière
« Administration Générale » qui était alors la plus prisée, il choisit
la section « Magistrature ». Dès sa sortie de l’Ecole nationale de la
France d’outre-mer avec ses camarades de promotion 1951-1953, Diallo Telli est
affecté, conformément à son choix, dans la magistrature d’outre-mer, dont le
cadre est géré conjointement par le ministre de la justice et celui de la
France d’outre-mer. Il est nommé au poste de substitut du procureur de la
République près le tribunal de 3ème classe de Thès au Sénégal, un
poste qui vient d’être créé. Mais il ne va pas durer dans la capitale du Rail.
Après Thiès, il devient dans un premier temps chef de
Cabinet du haut-commissaire de l'AOF, Afrique Occidentale, à Dakar, en 1955. Il
postule ensuite pour le poste de Secrétaire Général de l'AOF, et est finalement
retenu pour ce poste auquel il accède en Avril 1957. Les 18 mois qu'il passera
à ce poste lui permettront de se familiariser avec le fonctionnement
d'institutions de type parlementaire, et surtout de côtoyer quelques grands noms
comme Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Lamine Gueye, Modibo Keita, Fily Dabo
Sissoko, Djibo Bakary, Hamani Diori, Ouezzin Coulibaly et bien d'autres.
Le 28 septembre 1958, donc, lors du référendum sur la constitution
organisée par la France après le retour aux affaires du général de Gaule, une
énorme majorité du peuple Guinéen suit les consignes de Sékou Touré et du Parti
démocratique de Guinée et vote « non », signifiant clairement son
choix en faveur de l’indépendance immédiate. Le désir de faire son entrée
officielle dans la communauté internationale en devenant membre de
l’organisation des Nations unies constitue alors l’une des premières
manifestations de l’indépendance de tout nouvel État. Sékou Touré accorde,
donc, à juste titre, une grande attention au problème de l’admission de la
Guinée à L’ONU. Après le référendum de 1958, Diallo Telli fait le choix de
venir se mettre au service de son pays. Conscient de son potentiel, Sékou Touré
le charge de faire admettre la Guinée à l’ONU. Telli y parvient en quelques
semaines, malgré les manœuvres dilatoires de Paris. Ambassadeur à Washington et
représentant permanent auprès des Nations unies, Telli s’affirme vite au sein
du groupe afro-asiatique. Arrivé à New York à la fin 1958, Diallo Telli
représentera la Guinée à l’ONU jusqu’en juin 1960, puis de nouveau de mars 1961
jusqu’en aout 1964, date à laquelle il prendra ses fonctions à Addis Abeba à la
tête du secrétariat de l’OUA où son nom s’impose lorsqu’en 1963 est créée cette
instance africaine. Il en sera le secrétaire général pendant deux mandats,
jusqu’en 1972, où il n’est pas réélu, en grande partie à cause des réticences
de Sékou Touré, devant qui il lui a fallu à plusieurs reprises justifier de sa
fidélité.
En dépit de nombreux conseils, en particulier ceux de son épouse
Kadidiatou, il retourne avec sa famille à Conakry, où il devient ministre de la
Justice. Son expérience et son tempérament le poussent souvent à trop de
franchise et, donc, à des imprudences. C’est pour dire tout simplement que
Diallo Telli a été victime de sa naïveté et de sa franchise à l’instar d’autres
grandes figures de l’Afrique comme Mamadou Dia, Thomas Sankara, Patrick Lumumba
etc. Arrêté dans la nuit du 18 au 19 juillet 1976, Diallo Telli est accusé
d’être la pièce maîtresse du « complot peul » dont Sékou Touré
proclamera spectaculairement la découverte. Il croupira au sinistre Camp Boiro
placé en « diète noire ». Malheureusement, le 1er Mars 1977 au matin,
sa résistance a pris fin, et Boubacar Diallo Telli mourrit dans cette sinistre
cellule 52 du Camp Boiro.
Sa mort restera longtemps ignorée. Sept ans après lui, en mars 1984,
survient la mort de Sékou Touré, dont il fut la plus illustre victime. Après la
mort du premier président de la Guinée indépendante, l’une des premières
décisions prise sous la Deuxième République de Guinée par Lansana Conté, après
l’ouverture et la libération des détenus encore vivants, sera de réhabiliter
les victimes et d’ordonner la restitution de leurs biens. Diallo Telli restera
le plus illustre des martyres du régime de Sékou Touré. Son souvenir demeure
vivace en Guinée, en Afrique et dans le monde. Sékou Touré n’avait évidemment
pas lu Friedrich Nietzsche, qui écrivait : « que celui qui veut tuer
son adversaire se demande si ce n’est pas la meilleure façon de l’éterniser en
lui-même. »
Ngor DIENG
Psychologue
conseiller/Philosophe
ngordieng@gmail.com
[1]
Cf. Le livre d’André Lewin, ancien
ambassadeur de France en Guinée intitulé, Diallo
Telli : Le tragique destin d’un grand Africain, Jeune Afrique Livres,
Paris, 1990, 225 pages. Quarante ans après sa mort, il importe, pour nous, de
faire connaître Diallo Telli et de l’offrir à la jeunesse africaine en exemple.
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