LAMINE SENGHOR : UN GRAND PATRIOTE SÉNÉGALAIS OUBLIÉ DE L’HISTOIRE

 

Né le 15 septembre 1889 à Joal dans la petite côte, Lamine Arfan Senghor est issu d’une famille de modeste paysans sérères. Sujet français comme tous les Sénégalais qui n’étaient pas originaires des quatre communes (Dakar, Gorée, Saint-Louis et Rufisque), il était soumis au code de l’indigénat.

Très tôt, Lamine Senghor est obligé de quitter son village natal pour servir d’abord comme boy, ensuite comme employé de la maison Maurel et Prom. Il fut envoyé au front en Europe dès 1915. Pendant trois ans, il a participé aux combats les plus meurtriers qui ont eu lieu à Verdun, Douaumont, le Chemin des Dames, la Somme, etc. Blessé, gazé, il fut décoré de la Croix de guerre. Rapatrié au Sénégal en 1919, il fut déclaré réformé numéro un et dégagé de toutes obligations militaires avec pension d’invalidité de 30% par la Commission de Réforme. Lamine Senghor a eu à s’opposer à la politique de Blaise Diagne dans des conditions très difficiles.

En effet, au départ, la communauté noire se faisait des illusions sur l’élection de Blaise Diagne : mais elle ne tarda à les perdre comme le note Olivier Sagna : « Si Blaise avait bénéficié du soutien de cette même communauté après son élection, tout auréolé qu’il était du fait d’être le premier Africain à siéger au Parlement Français, aujourd’hui la situation était tout autre. Après avoir envoyé ses frères se faire massacrer par milliers et avoir accepté en 1923 de défendre les intérêts des commerçants bordelais en échange de leur soutien électoral, un grand nombre de ceux qui l’avaient soutenu ne se reconnaissaient plus en lui. Désormais, il était clair que Blaise Diagne défendrait plus les intérêts de sa classe que ceux de sa race »[1].

Il participa le 23 janvier 1925 au meeting organisé par l’Union Internationale à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Lénine. Plus de trois cents personnes assistèrent à ce meeting où étaient présents tous les dirigeants de l’UIC. Ali, Bloncourts, Vo Than Long, Nguyen The Truyen, Hadji Ali, Saint-Jacques.

Lamine Senghor était un autocrate qui était conscient de ses limites sur le plan intellectuel. C’est pourquoi il s’est inscrit au cours de l’École Coloniale communiste créée par le Parti communiste français au 8 aven
ue Mathurin Moreau. Lamine Senghor revint en France en août 1921 pour des raisons qui sont encore inconnues. Il exerça le métier de facteur des PTT au bureau central du 19ème arrondissement en avril 1923.

Il joua un grand rôle dans la mutinerie des tirailleurs sénégalais qui réclamaient de meilleures conditions de vie à Fréjus. À partir de juin 1924, il devint militant actif de l’Union Intercoloniale regroupant des originaires des territoires coloniaux sous le contrôle des communistes. Internationaliste infatigable, il participa au meeting organisé le 12 avril 1925 par la fédération du Kuomintang de France à la mémoire de Sun Yat Sen. Lamine Senghor fut présenté en mai 1925 comme candidat aux élections municipales dans le quartier de la Salpetrière situé dans le 13ème arrondissement de Paris.

En tant que membre du Conseil d’Action contre la guerre au Maroc formé par le PCF, le CGTU, l’ARAL, les JC et les membres de la revue Clarté, Lamine Senghor participa le 17 mai au meeting de Luna-Park qui rassembla 15.000 personnes environ. Il y prononça un violent discours contre l’intervention militaire française et protesta contre l’envoi des troupes sénégalaises au Maroc.

Arrêté le 23 juin 1925 à Argenteuil pour son action au sein du Comité et déféré au devant le Parquet, il fut remis en liberté ; mais il échappa de justesse à un attentat perpétré contre lui par un noir, Gervais, qui se rendit à son domicile 61 rue Myrha dans le quartier de la Goutte d’Or Paris 18ème et tira sur lui deux coups de revolver. Mais Lamine Senghor réussit à les éviter et à maîtriser Gervais qui fut conduit au poste de police.

Journaliste courageux, il écrivit dans le numéro de septembre-octobre 1925 du journal Le Paria un article intitulé : le travail forcé pour indigènes. Il apporta le salut fraternel de tous les peuples noirs et colonisés au congrès communiste de la région parisienne en juillet 1925. Le Parti communiste l’envoya dans les villes de province pour organiser les travailleurs immigrés des colonies en France. Il participa en même temps que Mme Sun Yat Sen, Nehru, Gorki, Nguyen Aï Quoc (Ho Chi Minh) au Congrès constitutif de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale tenu à Bruxelles en février 1927.

Lamine Senghor, un an après la publication de Force-Bonté de Bakary Diallo qui est un panégyrique de l’armée de la France, écrit un livre intitulé : La violation d’un pays.[2] Son camarade de parti, Paul Vaillant-Couturier a préfacé le récit de Lamine Senghor qui est toute l’histoire du colonialisme présentée sous « une forme hirsute, animée, à la fois simple et frappante ». Paul Vaillant-Couturier poursuit : « Il possède en même temps que des qualités doctrinales discrètes, les couleurs vives et séduisantes des imageries populaires ».

Cette brochure de Lamine Senghor est un violent réquisitoire contre Blaise Diagne qu’on peut reconnaître sous les traits du personnage de Degou, fils du terroir s’exprimant en français : « Le bon bougre, escorté d’une armée de soldats de sa couleur, tous galonnés et médaillés à poitrine débordée,...encadré d’officiers, de sous-officiers et caporaux à figure pâle, débarqua dans son ex-pays. Il y employa tout ce qu’il avait d’éloquence dans le ventre. Mais comme il ne parlait pas en langage du pays, on devine l’effet que devait faire un discours prononcé en langage « d’homme pâle » dans l’esprit des hommes à couleurs d’ébène ! fut-il un frère qui l’eût prononcé »

Lamine Senghor s’était marié avec une Française Eugène Marthe Comont, née à Nesle le 20 février 1903. Il eut deux enfants : une fille et un garçon (le garçon portant le nom de Diène Youssouf Robert, né le 8 mai 1926 à Paris et la fille Marianne). Atteint de paralysie, Lamine Senghor mourut le 25 novembre 1927 à l’hôpital de Fréjus. Il n’avait que 38 ans. 

 

 

Ngor DIENG

Psychologue conseiller

Doctorant en philosophie à l’UCAD de Dakar

ngordieng@gmail.com

 

 

 

 



[1]. Olivier Sagna, Lamine Senghor (1889-1927), Un patriote sénégalais engagé dans la lutte anti-colonialiste et anti-impérialiste, Mémoire d’histoire, Paris VII, 1980-1981, p. 25.

[2]. Lamine Senghor, La violation d’un pays, Préface de Paul Vaillant-Couturier. Bureau d’éditions de Diffusion et de Publicité. 132 Faubourg Saint-Denis Paris 10 1927, 31 p.

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