NOTE DE LECTURE: Mamadou Sy Albert, Sur les chemins de l’école, Presses Universitaires de Dakar (Ucad), Août 2014, 175 pages.

            Dans ce livre de Mamadou Sy Albert, journaliste, essayiste et analyste politique, l’école sénégalaise est passée à la loupe de l’observateur. Il fait un diagnostic sans complaisance des problèmes auxquels l’école sénégalaise est confrontée depuis les indépendances jusqu’à nos jours, ses défis et ses perspectives.

Après avoir montré que « L’éducation est un besoin humain : en matière d’instruction et de formation. »[1], le journaliste essayiste analyse les profils de l’école sénégalaise ; ceux-ci étant marqués par un certain « intellectualisme » du cursus académique.

Il revient aussi sur les grèves qui gangrènent, depuis près de trois décennies la bonne marche du système éducatif sénégalais. Celles-ci sont devenues récurrentes et cycliques au détriment d’un système qui faisait, avant les indépendances et durant les premières années de souveraineté internationale, la fierté de l’Afrique en général et de l’Afrique francophone en particulier.

L’école sénégalaise, héritée de la colonisation, n’a pas pu intégrer les réalités sénégalaises. Au contraire, elle a permis de maintenir et de perpétrer l’héritage colonial en n’opérant presque pas de rupture par rapport aux objectifs que se fixaient les colons. En d’autres termes, les premiers dirigeants africains, et cela jusqu’à ceux d’aujourd’hui, n’ont pas pris en compte les véritables préoccupations socio-culturelles des masses populaires à travers l’éducation et la formation.

Le français comme langue officielle du Sénégal est un grand handicap au développement. Cela fait qu’une petite portion de la population instruite, dirige la majorité qui ne comprend et ne parle le français. Cette majorité semble être exclue du processus de développement du pays et rejette du coup l’école et ses produits. Elle se sent marginalisée et ne se reconnaît pas dans une école qui ne prend pas en compte ses préoccupations et ses réalités. Pour Mamadou Sy Albert, « L’école coloniale telle qu’elle a été pensée et mise en œuvre dans le vaste projet de domination culturelle et économique ne pouvait nullement au regard de ses missions cardinales répondre aux besoins de la société sénégalaise aussi bien pour son éducation que pour son développement. »[2]

L’école sénégalaise est donc en crise. Les grèves cycliques des enseignants, des élèves et des étudiants, ajoutées à l’attitude gouvernementale « à signer sur papier sans croire un seul instant à l’application des accords » expliquent ce blocage.

Le français est en perte de vitesse. La langue de Molière, langue de notre système éducatif et de notre administration subit de plus en plus les assauts des langues nationales, de l’anglais et de l’arabe. L’école du blanc, faut-il le rappeler encore, ne prend pas en charge les réalités socio-culturelles africaines et sénégalaises, « … ne répond pas à ce besoin d’être un vecteur culturel de l’unité nationale et de la formation d’une personnalité sénégalaise et africaine. Elle est en rupture avec des valeurs, avec la culture et avec la société ».[3]

Pour lui, notre système éducatif n’inspire plus confiance. C’est pourquoi les jeunes aspirent aux études à l’étranger : en France, aux Etats-Unis, au Canada etc. De même, l’école publique perd de sa crédibilité à cause des grèves qui la secouent. Cela occasionne un regain d’intérêt pour l’école privée (catholique ou laïque). Les parents n’envoient plus leurs enfants dans notre école publique mais dans le privé qui se manifeste par sa stabilité et son bon niveau d’enseignement. Il en est de même de l’enseignement de l’anglais. On note la floraison d’écoles bilingues pour prendre en charge ce besoin pressant d’étudier, de comprendre et de parler couramment l’anglais qui est entrain de damer le pion au français dans l’espace international mondialisé.

Il faut donc encourager ce que l’auteur appelle « l’émergence de l’école de la société ». Elle sera l’école des citoyens sénégalais. L’école pas telle que voulue et pensée par le colon mais l’école du Sénégal, par le Sénégal et pour le Sénégal. Cette école est encore utopique aux vues des réalités, mais elle peut bel et bien voir le jour parce qu’elle est une nécessité. Cette école prendra en charge la question des langues et des cultures nationales. Elle ne sera pas une école d’exclusion mais plutôt un espace d’intégration. Sortir l’école de la crise pour Mamadou Sy Albert, c’est « réellement réconcilier l’école et le système éducatif national avec les populations en général, et singulièrement, avec les populations marginalisées cultuellement, exclues politiquement de la gouvernance du pays et de leurs collectivités locales par ce que simplement, analphabètes en langue française. »[4]

Par conséquent l’école de demain n’est pensable et réalisable que dans la perspective d’intégration des langues nationales. Cela demande beaucoup de courage et une réelle volonté politique aussi bien de la part de l’Etat que des élites formées et moulées dans et par le système francophone.

 

Ngor DIENG

Psychologue conseiller

ngordieng@gmail.com



[1] P. 15

[2] P. 70

[3] P. 99

[4] P. 171

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