LA PART MISÉRABLE DE L’HOMME
« L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie ».
Jean-Jacques
Rousseau, Emile ou de l’éducation, GF Flammarion, Livre I, p. 43
Que de peines,
que de douleurs, que de souffrances, que de déceptions, que d’espoirs avortés,
que d’attentes inutiles, que de rêves brisés !Que n’a-t-on pas vu ? A
quoi n’a-t-on pas assisté dans ce monde, dans notre monde comme souffrance,
contrainte et privation vécues par l’espèce humaine ?
Notre monde est
plein d’injustices, d’oppressions et de guerres orchestrées par l’homme sur son
prochain. Il est rempli de malheurs qui s’avèrent être, pour certains, une
punition que Dieu envoie sur terre pour châtier l’homme à cause de ses pêchés.
Pour d’autres, il faut écarter Dieu : l’homme est le seul responsable des
actes qu’il pose et des malheurs qui le frappent.
La vie est
difficile, elle l’a toujours été depuis la nuit des temps. Elle le sera
toujours jusqu’à la fin des temps. Faudrait-il comprendre cela pour s’adapter
le plus rapidement possible et pouvoir mieux vivre.
Ce n’est pas le
chemin qui est difficile mais le difficile qui est le chemin. Autrement dit, ce
n’est pas parce que la vie est difficile que nous la vivons mais c’est parce
qu’elle est faite de difficultés que nous devons la vivre. Prenons la vie comme
un combat, elle l’est ; elle l’a toujours été et elle continuera toujours à
l’être. Ne pas le comprendre, c’est vivre avec toutes les peines du monde. Comprendre
cela, c’est certes reconnaître les difficultés, mais c’est pouvoir aussi faire
face à elles.
Vivre, c’est
accepter les difficultés, mais, aussi ne pas baisser les bras. Affronter la vie
sans attendre. Pour la comprendre, y acquérir une expérience, il faut y être,
être dedans. Que d’ennemis qui nous causent d’énormes difficultés, que
d’obstacles qui se dressent tout au long de notre long chemin d’être humain.
D’ailleurs si l’on en croit Marouba Fall, « la vie ne serait rien sans la souffrance et qu’une créature qui ne sait
pas souffrir ne le mérite point ».[1]
L’homme est un
problème pour lui-même. Toute son existence est une équation à plusieurs
inconnus qu’il cherche à résoudre. Sa vie durant s’accompagne de l’angoisse
existentielle. Il sait bien qu’il n’atteindra pas tous ses objectifs car la
mort le chasse continuellement et l’atteindra un jour. L’homme doit apprendre à
donner un sens à son existence. Tel est l’objectif ultime de la vie. Cette
tâche étant certes noble mais très difficile, l’homme cherche beaucoup de
stratagèmes pour s’en détourner. Seuls quelques hommes, supérieurs du reste,
ont la haute conscience du sens élevé de l’existence. Quand on a la chance ou
peut-être la malchance de faire partir de ces privilégiés, on sera fatigué dans
la vie.
La vie est née
de la contradiction originelle, donc du péché originel. Car l’homme
originellement n’est pas né pour vivre sur terre et rencontrer des
contradictions. Il était né pour vivre dans le paradis et pourvoir à tous ses
besoins. L’existence humaine est une épreuve pour la reconquête du paradis
perdu. Elle ne sera jamais une tâche facile. L’homme est un être de
tiraillement, un être de contradictions, tant intérieures qu’extérieures. Il
est composé en réalité de deux matières contradictoires mais condamnées à se
compléter : le corps, enveloppe charnelle, siège des plaisirs et l’âme,
substance immatérielle et immortelle, dimension transcendantale, lieu
d’élévation de l’homme, par l’homme et pour l’homme.
L’action de
l’homme ne se perd jamais. Elle a toujours des répercussions directes ou indirectes
sur tout le reste de l’Humanité. Nous gagnerons toujours à murmurer pendant les
moments les plus heureux et/ou les plus critiques, la maxime kantienne,
l’impératif catégorique de l’horloge de Königsberg : « Agis comme si la maxime de ton
action devait être érigée par ta volonté en LOI UNIVERSELLE DE LA NATURE ».[2]
L’Humanité
souffre de ses inégalités et de ses injustices. Elle est malade du luxe et de
l’argent. Ce dernier domine aujourd’hui la sphère des valeurs en s’érigeant
comme valeur suprême au détriment de l’homme. Ce renversement des valeurs est
catastrophique et plongera notre monde dans des dérives qui le détruiront. Il
n’est jamais trop tard pour bien faire. On peut agir quand il est temps et il est
temps. L’Humanité est sur le qui-vive, elle est à l’écoute de l’homme. Seul
capable de changer le court des évènements, l’homme peut intervenir et sauver
l’humanité. Il doit le faire. C’est son devoir envers l’espèce humaine et le
reste de la nature. Sauver ou périr, il n’a pas le choix.
Dans la vie, le
plus facile n’est pas toujours le meilleur. Quand c’est difficile, c’est quand
on est sur le bon chemin. Il ne faut pas aimer la facilité. Elle va de pair
avec la solution la plus médiocre à nos problèmes, donc pas véritablement de
solution. Être déterminé face à la réalité de la vie, c’est la meilleure
manière de la dépasser, voire de la nier. Se replier devant elle signifie fuite
de responsabilité, renoncement à la vie. Donc il ne faut pas dormir sur ses
lauriers. Il faut éviter de sombrer dans ce que Sartre appelle « la mauvaise foi ».[3]
Il faut certes
partir de soi, de son individualité mais il est souhaitable d’aboutir à
l’Universel, à l’homme, couronnement de la création. Dans la vie, il faut
toujours se battre et ne jamais baisser les bras. Il faut souffrir pour ses
amis et pour faire souffrir ses ennemis. Partout dans le monde, l’homme
souffre. Car l’homme exploite son prochain et est exploité par son prochain. La
condition humaine est malheureuse. Il en est ainsi depuis le péché originel.
Nous sommes destinés à tout acquérir dans la souffrance et dans la peine. A
commencer par l’enfantement chez la femme. Pour Georges Palante, « …la
société [la vie] est pour l’individu
une perpétuelle génératrice de contraintes, d’humiliations et de misères, une
sorte de création continuée de la douleur humaine. »[4]
Le monde actuel
connait un niveau de développement spectaculaire. Aujourd’hui, l’homme a toute
sorte de moyens à sa disposition. Il est en avance sur toute chose et dans tous
les domaines, excepté sur lui-même. Il est en perdition moral et religieux car
il éprouve beaucoup de peines à se maîtriser soi-même, c’est-à-dire à dompter
ses passions et ses désirs ; ceux-ci ayant une recrudescence très forte
due aux avancées spectaculaires des sciences et techniques. Celles-ci, bien
entendu, aiguisent l’appétit de l’homme, lui font découvrir et éprouver
d’autres formes de plaisirs ignobles et vils à la morale et à la religion.
Ainsi l’homme a
intérêt à revenir sur lui-même, à revoir son parcours et à interroger de
nouveau le sens de son existence. Il doit faire un bilan de sa longue et
tonitruante histoire à travers les époques et les lieux. L’Humanité court à sa
perdition et doit être sauvée. Elle doit se sauver elle- même en devenant plus
responsable, en se souciant plus de justice, d’égalité et de liberté ; en
un mot de l’épanouissement du genre humain.
Notre monde est
plus que jamais caractérisé par la diversité, la disparité et la différence. Il
n’est plus le moment de l’enferment et du cloisonnement autour de soi, de ses
idées et de ses croyances. Nous vivons une ère de l’Histoire humaine qui
demande une attitude d’ « enracinement
et d’ouverture »[5].C’est
une période qui a besoin d’un esprit relatif, se reconnaissant être lui-même
(l’identité) mais aussi acceptant et supportant l’existence de l’autre (la différence).
C’est ce que les philosophes appellent l’intersubjectivité
qui ne se réalise que dans l’altérité,
c’est-à-dire dans la coexistence des consciences[6].
Demain, les
hommes, les peuples, les races, les cultures, les religions et les
civilisations qui survivront seront ceux qui accepteront l’unité dans la
diversité et qui s’adapteront à la différence fondamentale, c’est-à-dire celle
voulue et imposée par le Souverain de la création. D’ailleurs, la différence
n’est-ce pas, ce qui fait l’identité ? C’est dans la différence même que naît
et s’entretient la vie. C’est dans celle-ci qu’elle va s’écouler, qu’elle va
mourir. C’est la dialectique ontologique.
Toute l’Humanité
doit élaborer et tendre vers la civilisation planétaire, vers ce que le poète Léopold
Sédar Senghor appelle la « Civilisation
de l’Universel »[7].
Les égoïsmes humains doivent s’éteindre pour laisser la place à l’Homme,
couronnement de la création, valeur universelle au-dessus de toutes les autres.
L’Homme est aux autres créatures et aux valeurs ce que le soleil est aux autres
planètes. Il est la créature la plus achevée et la valeur suprême autour de
laquelle doivent graviter toutes les autres.
Tous les
problèmes de l’homme sont liés à l’action de l’homme. L’angoisse existentielle[8]
trouve sa source dans le manque de reconnaissance et l’ingratitude humaine. De
ce fait, l’homme s’agite et est agité par tous les vents qui passent. Il perd
de sa puissance et de sa tranquillité. Il devient vulnérable et constitue une
cible pour son prochain. Il rapporte tout à la vie ici-bas en oubliant
totalement ses origines divines. Il méconnait sa nature divine. Il se contente
de tiraillements, de rivalités, de guerres et s’écarte du droit chemin, de sa
conduite originellement divine.
L’Homme est le propre
auteur et acteur de son égarement parce que c’est un être qui accorde la
primauté à son corps c’est-à-dire à ses passions, désirs et plaisirs
charnels. Il cherche jouissance et félicité dans ce monde éphémère. Alors que
la véritable récompense se trouve dans l’au-delà, dans le monde de l’Absolu.
Les bonnes
actions, même celles individuelles, doivent s’inscrire dans le collectif et
pour la collectivité. Il n’y a de véritable service que collectif,
communautaire. Tout homme est guidé par la recherche du convenable, de
l’adéquat, de ce qui favorise l’épanouissement et le bien-être. C’est en vue de
sa réalisation. Chacun cherche à se conserver, à préserver sa vie et à
persévérer dans son être. Naturellement ! Dieu est là pour tous.
Quand on a la
possibilité d’avoir le maximum, il ne faut pas se contenter du minimum. L’homme
est fait pour aller toujours de l’avant, pour s’améliorer. C’est en cela qu’il
est différent de toutes les autres créatures. Pour Blaise Pascal, « l’homme […] n’est produit que pour l’infinité »[9].
Quand on a la possibilité d’avoir le maximum, il ne faut pas se contenter du
minimum. Mais il faut aller toujours plus, vers les sommets.
Soyez au service
de la communauté. Faites-le de manière désintéressée. C’est cela qui fera votre
grandeur et par-delà votre immortalité. Ne courrez pas derrière l’argent, la
fortune et la femme. Cherchez à être sage et tempérant, gai et paisible, calme
et serein, fort et plein de courage, cultivé et bien formé, ambitieux et
travailleur, croyant et pratiquant, tolérant et pardonneur.
Humains,
rivalisez dans l’accomplissement du bien et pas dans celui du mal.
L’accomplissement du bien est la seule voie qui mérite convoitise. Elle produit
toujours des fruits inestimables et exceptionnellement bons.
Il faut faire ce
qui est en son pouvoir, certes. Mais, il y a des moments, où il faut laisser
les choses se faire elles-mêmes, naturellement. Elles ont leur propre mode
d’expression, leur propre temps d’accomplissement et de réalisation. La nature
a sa propre manière de faire qui ne souffre d’aucune contestation.
Il y a toujours
pour l’homme des projets à réaliser, des défis à relever, des obstacles à
surmonter, des cas à résoudre. C’est cela d’ailleurs qui fait la part misérable
de l’homme, animal raisonnable et mortel du reste. Il doit toujours vivre
difficilement, à la sueur de son front. Il doit son salut à l’effort, au
travail et au soin. Il acquiert tout à la suite d’efforts soutenus. Le destin
de l’homme, c’est de travailler pour gagner sa vie et se prendre en charge
lui-même.
L’homme cause à
son prochain beaucoup de tords sans raison. La haine, la phobie, l’exclusion
font surface et constituent le soubassement d’une bonne partie des relations
entre les hommes. Ces relations humaines sont rarement saines. Elles sont
toujours maquillées de mensonge, de jalousie, d’envie, de haine, du regard
d’autrui, d’orgueil, de médisance… !
Pourtant les
hommes devraient s’aimer pour constituer une société de paix, de sécurité, de
liberté et de progrès. L’homme est une course contre la montre. Il a beaucoup
de choses à réaliser, à accomplir. L’homme est un sac à projet. Un réservoir à
problèmes. Les projets sont à réaliser. Les problèmes sont à résoudre.
Et, tout cela
dans une vie presque toujours trop courte, limitée dans le temps et marquée de moments
de faiblesse (la maladie, l’incapacité de l’enfance et de la vieillesse, etc.).
Plus haut, on a dit que l’homme est un problème pour lui-même, mais aussi il
est un problème pour les autres. Cela parce que l’homme, dans les actes qu’il
pose, engage sa propre responsabilité mais aussi celle de l’Humanité toute
entière. C’est ce fait qui rend son engagement beaucoup plus difficile à
supporter.
[1]Marouba FALL : La collégienne, NEAS, Dakar, 2003,
p.163.
[2] Emmanuel
Kant : Fondements de la métaphysique
des mœurs, Delagrave, Paris, p. 137.
[3] Jean-Paul
Sartre : L’existentialisme est un
humanisme, Nagel, Paris, 1970, p. 29
[4] Georges Palante : L’individualisme aristocratique, Les
belles Lettres, Paris, 1995, p. 161.
[5] Léopold Sédar
Senghor : C’est une terminologie du président-poète, qui est un partisan
du dialogue des cultures et de la civilisation de l’Universel. Cette dernière
nécessite enracinement et ouverture c’est-à-dire identité et différence.
[6] La vie des
hommes en tant que sujets pensants suppose une coexistence des consciences.
L’homme n’est pas seul au monde. Il vit avec la nature, mais surtout avec ses
semblables.
[7]Léopold Sédar Senghor :
la civilisation de l’Universel se veut un creuset de civilisations des
différents peuples de la planète. Elle est différente de la civilisation
universelle qui est, à notre avis, l’objet visé par la mondialisation. D’où
toutes ses difficultés.
[8]Jean-Paul
Sartre : L’existentialisme est un
humanisme. L’angoisse existentielle est une sorte de peur qui habite
l’homme toute sa vie durant. Elle est liée aux vicissitudes, aux incertitudes
et à la finitude de la nature humaine auxquelles l’homme est confronté.
[9]Blaise
Pascal : Préface pour le Traité du
vide (1647), « La Pléiade », Gallimard pp. 309 310.
Ngor DIENG
Philosophe/Psychologue
conseiller
ngordieng@gmail.com
Je vous dis merci pour ces beaux ecrits
RépondreSupprimerC'est moi qui vous remercie!
RépondreSupprimer