LES CHOIX IMPOSSIBLES


« La vertu est une carrière difficile ».

Jean Guéhenno : Jean-Jacques, Histoire d’une conscience, nrf, Gallimard, 1962.

La constance est le propre des grands hommes. L’attachement aux valeurs cardinales le fort des « hommes historico-mondiaux », pour emprunter une expression hégélienne. La valeur sera toujours le reflet de ce qui devrait être par rapport à ce qui est. Ce qui devrait être, c’est la quête du véritable sens de notre existence. Ce qui devrait être, c’est l’interprétation et la saisie du sens du fameux « connais-toi toi-même » de Socrate qui ne signifie rien d’autre que : connais ta nature divine. Ah oui, notre nature est essentiellement divine. Allah ne dit-Il pas dans le Saint Coran : « Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons »[1].
Notre passage terrestre est éphémère. Notre corps constitue une prison pour l’âme. Ainsi, la mort demeure toujours une véritable délivrance pour cette Âme pure et transcendantale. Cette dernière est par essence immatérielle et immortelle[2].
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde, dans un contexte national et international où l’expression des valeurs cardinales doit être le socle d’une existence épanouie et consacrée au service de Dieu et des créatures humaines. Ce choix de vivre en conformité avec les valeurs est un choix impossible, parce que difficile, voire inconcevable dans notre société postmoderne.
C’est un choix qui est aujourd’hui en contradiction avec ce qui est, c’est-à-dire la réalité de tous les jours. Ce choix de vie, dans certaines postures et situation même, est mortel : Martin Luther King, Mahatma Gandhi et Thomas Sankara[3]pour ne citer que ceux-là, ne me démentiront pas. Ils ont payé de leur vie la constance à la croyance aux idéaux de justice, d’égalité, de fraternité et de développement dont l’être humain a besoin pour se sentir homme.
Ce choix de vie est infernal. C’est certes un idéal de valeurs, mais carcéral, dans la mesure où, il mène souvent à la marginalisation, à l’isolement, à l’oubli, à la singularité et à la solitude de ceux qui s’efforcent pour l’incarner. Sous nos cieux et dans notre histoire récente, Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Ly et Amady Aly Dieng (tous décédés aujourd’hui) en ont fait les frais. Que d’illustres figures historiques sont passées par là !
Cette vie terrestre est éphémère. Elle demande plus une approche spirituelle, morale et intellectuelle, qu’une démarche matérialiste et de quête de la « volonté de puissance ».
Les grandes ambitions que nous puissions avoir doivent être transcendantales, intelligibles et mêmes divines (au sens de pures) pour ne pas exagérer. Celles-ci doivent dépasser les montagnes et les océans, les immeubles et les châteaux, les voitures et les avions, l’argent et le luxe, le pouvoir et la force.
La vie est trop courte, mais tant que nous vivons, nous la percevons comme élastique pour ne pas dire éternelle. L’argent, le luxe, l’artifice, le paraître, le pouvoir et la force peuvent nous habiter, s’offrir à nous, mais ils ne sont pas éternels. Par contre le bien, la droiture, la constance, la modestie, l’humilité, la dignité, l’honnêteté etc. sont, en tant que valeurs, universelles et éternelles.
De nos temps, le combat qui oppose les valeurs aux antivaleurs et pseudo-valeurs est le combat le plus rude qui soit.  Sur le plan national, l’impudeur, l’impunité, la paresse, le manque de respect vis-à-vis d’autrui, la promotion des anti-modèles font face, et avec des armes redoutables que sont les médias et internet, aux valeurs cardinales qui symbolisaient et définissaient notre société.
Aujourd’hui, on assiste à la défaite de la pensée, pour parler comme Alain Finkielkraut,[4]mais aussi à la faillite des élites qui se caractérisent par le désengagement des intellectuels, (à la recherche de postes gouvernementaux et de gain à outrance), la promotion de la médiocrité, la banalisation du savoir, la montée de l’ignorance et l’émergence de phénomènes nouveaux comme la lutte, le détournement de milliards, le manque de sérieux, la trahison des espoirs, la non-tenue des promesses et le « wax waxeet »[5].
Presque tout le monde est prêt à tout, quitte à vendre son âme au diable et à adorer l’argent. Le sexe nous envahit à longueur de journée et les scènes érotiques et d’agressions sexuelles ne sont point une denrée rare dans les rues et les médias.
La pauvreté augmente et pourtant les richesses s’accumulent et deviennent beaucoup plus consistantes. Les forts n’aident plus les faibles. Les riches ne soutiennent plus les démunis. Les jeunes ne respectent plus les vielles personnes. Les hommes ne valorisent plus les femmes. Les familles se sont disloquées et sont devenues nucléaires. La solidarité et l’entraide ne font plus partie de nos pratiques quotidiennes. La religion est devenue plus une source de tension et de guerre que d’union et de paix.
Le virtuel prend le dessus sur la réalité. Le jeu l’emporte sur le travail et le sérieux. Les TIC creusent l’écart avec le contact direct et la chaleur humaine. L’envie de réussir noie le désir de travailler dur et sérieusement. Le succès et la célébrité prédominent sur le talent et les compétences et la course aux richesses coiffe au poteau le marathon des valeurs. La misère et le stress remplacent la prospérité, l’épanouissement mental et la santé.
Un retour aux valeurs et à la religion devient imminent. Un regain de spiritualité s’impose. Une recherche du sens de notre existence devient nécessaire. Une reconquête du savoir se trouve indispensable. La paix, le dialogue, le respect mutuel entre les hommes et les peuples, ainsi que les échanges culturels deviennent des armes pour la reconquête d’un paradis terrestre que la modernité a contribué à faire perdre aux vivants.
En un mot, la quête de la vertu constitue la seule alternative contre la cruauté de notre monde et contre l’immoralité et le manque d’humanisme de notre système de vie.


[1]Coran, sourate La vache, verset 156.
[2] Cf. Platon, Le Phédon (ou de l’âme)
[3] Ces leaders historiques, bien qu’ayant vécu à des époques différentes et dans des pays différents, ont défendu de manière constante une cause juste. Ils ont été tous assassinés pour leur engagement et leur attachement aux valeurs de progrès, justice, d’égalité et de dignité au profit de leurs communautés.
[4]Alain Finkielkraut : La défaite de la pensée, Folio essais, 1989.
[5] Propos du président Wade où il se dédit lui-même après avoir annoncé qu’il ne peut plus avoir un troisième mandat. A l’élection présidentielle de 2012, il revient sur ses propos pour solliciter un troisième mandat. Ce qui avait abouti à des contestations et violences électorales, et plus tard à sa défaite au soir du 26 mars 2012.


Ngor DIENG
Psychologue conseiller/Philosophe
ngordieng@gmail.com

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